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Au Pakistan, la réticence du gouvernement à ratifier la convention de l’OIT sur la sécurité dans les mines condamne les travailleurs à des pièges mortels

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31 mai, 2021Les travailleurs doivent composer avec un environnement extrêmement dangereux dans les mines de charbon pakistanaises qui, pour la plupart, ne font l’objet d’aucune réglementation.

La mort dans l’âme, Mohammad Israr, 17 ans, déclare prier chaque fois qu’il pénètre dans la mine de charbon de la province du Baloutchistan, qui a coûté la vie à son père. « Il a travaillé dans les mines de charbon pendant deux décennies, mais depuis sa mort il y a plus d’un an, j’ai dû abandonner mes études et quitter ma maison pour venir travailler ici dans la mine », explique-t-il à Equal Times.

Avec ses connaissances élémentaires de l’écriture arabe et une brève expérience des études religieuses, Mohammad a écrit à la craie blanche divers versets sacrés sur l’entrée noircie de la mine, en guise d’augure de chance et de sécurité. « Nous nous en remettons entièrement à Allah. Ici, rien d’autre ne peut nous protéger ». Le jeune homme est originaire de l’ancien bastion taliban de la vallée de Swat, dans la province du Khyber Pakhtunkhwa, au nord du Pakistan.

Mohammad travaille au minimum 10 heures par jour en tant qu’assistant au fond de la mine et occasionnellement s’occupe d’y charger le charbon. Ce travail lui rapporte environ 10 dollars US par jour (environ 8 euros), mais il est exténuant et dangereux. Devoir s’adapter aux températures extrêmes du Baloutchistan, où la température descend au-dessous de zéro en hiver et dépasse régulièrement les 40 °C pendant les mois les plus chauds, ainsi qu’au travail potentiellement mortel dans les exploitations minières à petite échelle a été physiquement et mentalement très difficile pour l’adolescent.

Mais il n’a pas le choix. « Je dois rembourser les prêts que nous avons contractés pour payer certaines choses à la mort de mon père et je dois contribuer à subvenir aux besoins de mes neuf frères et sœurs et de ma mère. Il n’y a pas d’autre travail disponible », raconte-t-il à Equal Times.

Selon le rapport BP Statistical Review of World Energy 2020, les réserves de charbon du Pakistan figurent parmi les plus importantes du monde (3,064 milliards de tonnes) et le charbon sert à alimenter tous les usages, des fours à briques aux usines de ciment en passant par les centrales électriques. Mais les exploitations de charbon du Pakistan sont incroyablement dangereuses. Les données fiables sont difficiles à obtenir, car la plupart des travailleurs évoluent dans le secteur informel et les registres de présence au travail dans les mines sont mal tenus.

    Toutefois, pas moins de 100 mineurs perdent la vie chaque année ; en 2020, il est estimé que 208 mineurs sont morts au Pakistan. Des milliers d’autres sont blessés et un nombre incalculable de personnes développent des maladies graves des suites de leur travail.

Les mines sont généralement exploitées par des groupes miniers de petite et moyenne taille, ou par des particuliers, dont la plupart opèrent à court terme, avec pour seul objectif la maximisation des profits. Avec autant d’entreprises informelles, les chiffres varient, mais on estime qu’il existe plus de 3.000 mines de charbon enregistrées au Baloutchistan, employant plus de 40.000 mineurs. La majorité des mineurs pakistanais sont des sous-traitants, effectuant des travaux manuels ou semi-mécanisés dans des mines privées qui ne bénéficient que de peu d’investissements technologiques, car ces coûts sont pris en charge par les propriétaires des mines qui ne veulent pas affecter leurs marges bénéficiaires. Le gouvernement n’offre que peu ou pas de soutien juridique, financier, technologique ou social aux propriétaires de mines.

Les journées de travail sont longues, jusqu’à 14 heures par jour, et bien qu’il soit illégal pour les travailleurs de moins de 18 ans de réaliser des travaux dangereux au Pakistan, le travail des enfants dans l’industrie minière est courant. Ainsi, des enfants d’à peine 14 ans sont souvent employés dans les mines souterraines. Les mineurs ne bénéficient que de peu de mesures visant à garantir leur santé et leur sécurité, de peu ou d’aucune formation, d’aucun congé payé, d’aucune assurance maladie et leurs salaires sont très bas.

La précarité à laquelle sont confrontés les travailleurs des mines pakistanaises est aggravée par le fait que nombre d’entre eux sont des migrants, originaires des districts défavorisés de Swat et de Shangla, dans la province du Khyber Pakhtunkhwa, marqués par l’insurrection talibane et frappés par un sous-développement chronique. D’autres sont originaires de l’Afghanistan voisin. La plupart de ces derniers travaillent et vivent au Pakistan sans titres de séjour valables, ce qui les met à la merci de patrons de mines véreux, dont certains ont l’habitude de sous-payer les travailleurs migrants, voire de ne pas les payer du tout.

Aujourd’hui âgé d’une cinquantaine d’années, Amin Ullah n’avait que 15 ans lorsqu’il a quitté son village dans le district de Shangla pour venir travailler comme mineur au Baloutchistan. « J’ai échappé à la mort à de nombreuses reprises, mais beaucoup de mes collègues de travail — dont certains étaient mes amis et mes proches — n’ont pas survécu dans les mines », raconte-t-il, le visage assombri par le deuil.

La rémunération insuffisante d’environ 250 dollars US (205 euros) par mois signifie que les travailleurs comme Amin ne peuvent pas se permettre de prendre des jours de congé pour rendre visite à leur famille. « La dernière fois que j’ai visité ma famille dans le Shangla, c’était en 2014. J’ai manqué l’Aïd [la fête sainte des musulmans] tellement de fois et bien d’autres choses encore. Cela me remplit le cœur de tristesse ».
L’heure est venue de s’attaquer à la crise de la sécurité

Malgré le bilan humain effroyable de 2020, l’année 2021 pourrait être pire encore pour la sécurité dans les mines. Le début de l’année a été marqué par une série d’accidents dans les mines, notamment la mort d’au moins 15 mineurs dans deux incidents distincts, à moins d’une semaine d’intervalle, après des explosions de méthane piégé dans des mines de l’ouest du Baloutchistan, qui ont provoqué de violents incendies. En février, quatre mineurs sont morts dans des mines de charbon qui se sont effondrées dans le district de Duki, au Baloutchistan. Par ailleurs, le 25 décembre 2020, six mineurs ont été pris au piège dans une autre mine du même district.

Les méthodes d’extraction primitives employées dans la plupart des mines de charbon signifient que les travailleurs risquent la mort ou des blessures graves à cause des explosions de gaz, des effondrements des parois de la mine, des inondations et des accidents liés aux équipements. Les maladies professionnelles telles que l’anthracose (une maladie incurable, mais évitable causée par l’inhalation de la poussière des mines de charbon), la perte d’audition, les troubles de la moelle épinière causés par les vibrations continues des équipements, les troubles de la vue et la tuberculose sont courantes.

Les équipements de sauvetage ou de détection du méthane et la ventilation adéquate sont insuffisants ou mal entretenus. Il en va de même pour les services de lutte contre les incendies, les hôpitaux, les ambulances et les pharmacies. Il n’y en a pas à proximité des mines. Les mécanismes efficaces de contrôle de la santé et de la sécurité font également cruellement défaut : selon un rapport de 2019 de la Commission nationale des droits humains du Pakistan, il n’y a qu’un seul inspecteur en chef des mines pour l’ensemble du Baloutchistan et il n’effectue que 10 visites par mois. Un article de 2018 pour Dawn, l’un des principaux journaux du Pakistan, indique en outre que « malgré 45 incidents documentés ayant entraîné plus de 318 décès au cours des huit dernières années, l’inspecteur en chef des mines du Baloutchistan n’a pas engagé la moindre poursuite pour négligence criminelle contre les propriétaires/gestionnaires des mines ».

Or, ni le gouvernement ni les propriétaires des exploitations minières ne se sont engagés à prendre les mesures nécessaires pour améliorer les conditions de travail des mineurs pakistanais. Karamat Ali, activiste de longue date pour les droits des travailleurs, affirme que les travailleurs des mines pakistanaises sont soumis à des « conditions inhumaines ». Il déclare à Equal Times : « Nous exigeons avec force que le gouvernement pakistanais ratifie la Convention 176 (C176) de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la sécurité dans les mines qui, nous l’espérons, créera le cadre adapté pour résoudre cette crise en matière de sécurité. »

    La Convention 176, également connue sous le nom de convention sur la sécurité et la santé dans les mines, a été adoptée lors de la 82e Conférence internationale du travail de l’OIT en 1995. Elle reconnaît qu’il existe des risques inhérents au milieu de travail minier et vise à créer une norme qui peut être utilisée par toute nation qui la ratifie pour promouvoir la santé et la sécurité des mineurs.

Néanmoins, à ce jour, le Pakistan a choisi de ne pas ratifier la C176. « Malheureusement, tous les partis politiques, et le gouvernement actuel en particulier, sont anti-travailleurs et élitistes », déclare M. Ali. « Ils s’opposent non seulement aux conventions en faveur des travailleurs, mais ils rechignent à mettre en œuvre celles qui ont déjà été ratifiées, comme la C98 de l’OIT [NDLR : la convention sur le droit d’organisation et de négociation collective de 1949, qui est l’une des huit conventions fondamentales de l’OIT] », déclare M. Ali, qui fait partie des mouvements de défense des travailleurs et de la paix au Pakistan depuis plus de cinq décennies et qui est le membre fondateur de plusieurs réseaux locaux et régionaux tels que le Forum du travail de l’Asie du Sud. « Au Pakistan, le taux de formation de syndicats est inférieur à 2 % », ajoute-t-il.

IndustriALL, la fédération syndicale internationale basée à Genève qui représente plus de 50 millions de travailleurs dans 140 pays, collabore avec les syndicats locaux pour faire campagne en faveur de la ratification et de la mise en œuvre de la convention C176 de l’OIT au Pakistan. Tanveer Nazir, le coordinateur de projet d’IndustriALL au Pakistan, a déclaré à Equal Times que le manque d’investissement et une mauvaise réglementation du secteur sont à l’origine de ce que le secrétaire général adjoint d’IndustriALL, Kemal Özkan, décrit comme le « honteux carnage » du secteur. M. Nazir déclare : « Malgré les progrès technologiques réalisés partout dans le monde, les exploitants et propriétaires de mines de charbon d’ici ne veulent pas renoncer à leurs méthodes d’exploitation dangereuses et archaïques », explique-t-il.

« Le gouvernement n’a pas su réglementer et enregistrer les mines de charbon ainsi que ceux qui y travaillent. Il n’a pas non plus mis en œuvre de mesures de sécurité strictes pour les mineurs, sans parler du fait qu’il n’a pas non plus investi dans les équipements de sécurité pour les secouristes et les inspecteurs. Malheureusement, un grand nombre de mines de charbon sont exploitées de manière informelle par des mafias, de tailles diverses, qui usent de leur influence pour tenir à l’écart les inspecteurs de sécurité du gouvernement et pour éviter de verser les indemnités obligatoires aux familles des travailleurs en cas de blessure ou de décès. »

L’un des principaux obstacles à la ratification de la C176 a été la structure fédérale du pays et sa fragilité. Bien que, selon certains observateurs, le gouvernement central ne soit pas opposé à la ratification de la convention, au niveau local, les propriétaires de mines exercent d’énormes pressions sur les gouvernements locaux afin qu’ils y renoncent. Pour que la convention soit efficace, elle devra être strictement appliquée par les gouvernements provinciaux après sa ratification par le gouvernement fédéral.
Confrontés aux accidents du travail, mais aussi au terrorisme

L’essentiel de l’extraction du charbon au Pakistan a lieu au Baloutchistan, dont la souveraineté est contestée entre l’État et les chefs tribaux. Le porte-parole du gouvernement du Baloutchistan, Liaqat Shahwani, a déclaré à Equal Times que la loi pakistanaise de 1923 sur les mines couvre la plupart des questions liées à l’exploitation minière. Il a toutefois reconnu que cette loi ne couvre pas des questions telles que le droit des travailleurs à rapporter les accidents, le droit de choisir des représentants en matière de santé et de sécurité et la formation des travailleurs.

« Le Baloutchistan a besoin du soutien de la communauté internationale en ce qui concerne la sécurité des travailleurs des mines et les programmes de formation. Il a également besoin d’investisseurs pour établir la fabrication et la disponibilité à échelle industrielle d’équipements de santé et de sécurité tels que des détecteurs de gaz, des autosauveteurs, des appareils respiratoires », qui sont généralement importés et entretenus grâce à l’expertise étrangère.

Les syndicats estiment toutefois qu’il reste encore beaucoup à faire. Selon M. Nazir d’IndustriALL, la loi sur les mines de 1923 ne suffit pas à protéger les mineurs, car après le 18e amendement constitutionnel de 2010, qui a réduit les pouvoirs du président et du gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux du Pakistan ont l’autorité ultime pour promulguer et mettre en œuvre toute législation. « Au Pakistan, le processus législatif est également très compliqué en raison de l’instabilité politique », explique M. Nazir.

    Outre la succession ininterrompue d’accidents mortels dans les mines de charbon, les terroristes partisans de l’organisation État islamique et les séparatistes baloutches font peser une lourde menace sur les mineurs originaires du nord du Pakistan et des communautés chiites des hauts plateaux du centre de l’Afghanistan voisin.

Les restes de 16 mineurs ont été découverts dans un charnier dans le Khyber Pakhtunkhwa le 9 avril, près de dix ans après leur disparition. La zone où ils ont été découverts était autrefois un bastion des talibans pakistanais, mais les habitants affirment que les militants et les forces de sécurité pakistanaises procédaient à des enlèvements et à des assassinats au moment de la disparition des mineurs, ces dernières dans le cadre de leurs opérations antiterroristes.

Quelques semaines avant la découverte des corps, des hommes armés associés à un groupe local de terroristes partisans de l’État islamique ont sauvagement assassiné 11 travailleurs de l’ethnie hazara, un groupe minoritaire chiite persécuté de longue date au Pakistan et en Afghanistan, dans le district de Mach, au Baloutchistan. Le groupe a revendiqué le fait d’avoir bandé les yeux des travailleurs et de les avoir finalement ligotés dans leurs baraquements communaux, près des mines où ils travaillaient.

Mohammad Ali, un collègue de Mohammad Israr, a déclaré que le massacre des mineurs d’origine hazara à Mach a aggravé le traumatisme subi par les mineurs du Baloutchistan. « La faux de la mort plane toujours au-dessus de nos têtes à l’intérieur de la mine, car celle-ci peut s’effondrer sur nous à tout moment, mais l’assassinat de travailleurs dans leurs chambres pendant la nuit prouve simplement que nous ne sommes en sécurité nulle part », a confié le jeune homme de 20 ans à Equal Times.

Les membres de la communauté hazara pensent que l’incident de Mach est identique aux assassinats ciblés de leurs membres en raison de leurs croyances religieuses dans d’autres régions du Pakistan et de l’Afghanistan. Pendant plusieurs jours, dans une démarche désespérée pour demander plus de sécurité, ils ont organisé un sit-in de protestation avec les cadavres des mineurs.

L’action a poussé le Premier ministre Imran Khan à assurer à la communauté hazara ébranlée par les faits qu’il veillerait à sa sécurité, tout en qualifiant le massacre de tentative d’incitations aux violences sectaires dans le pays. « Je partage votre douleur et je suis venu à vous aussi pour me tenir à vos côtés dans votre moment de souffrance. […] Je ne trahirai jamais la confiance de mon peuple », a-t-il déclaré sur Twitter.

De nombreux mineurs d’origine hazara viennent de la région de l’Hazaristan, dans le centre de l’Afghanistan. Dans un entretien avec Equal Times, des membres de la communauté ont déclaré qu’ils avaient fui l’Afghanistan pour échapper à la guerre et aux persécutions, et du fait qu’ils ne disposaient pas des documents nécessaires, leur seule option de travail était l’exploitation minière illégale. « Nous sommes forcés de travailler pendant de longues heures et dans des conditions périlleuses, mais que pouvons-nous faire ? Nous ne pouvons pas faire entendre nos voix ni demander justice », déclare un mineur afghan.


Cet article a été publié sur Equal Times