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INTERVIEW: April Sims

4 décembre, 2020IndustriALL interview April Sims, Secrétaire-trésorière du Conseil syndical de l’État de Washington, AFL-CIO

INTERVIEW

Global Worker No. 2 novembre 2020

Interview: April Sims

"Il ne s’agit pas simplement de faire une place à la table pour un nouveau joueur, mais de s’assurer que chacun reçoive la même main et connaisse les règles afin de pouvoir rivaliser dans la partie."

Comment avez-vous adhéré au syndicat?

J’ai été élevée par une mère célibataire. Nous avons grandi dans la pauvreté et nous avons donc bénéficié de l’aide sociale pendant la plus grande partie de mon enfance. Ma mère avait du mal à payer les factures et à nourrir sa famille. Elle a toujours travaillé très dur, mais ce n’était jamais assez. Si nous tombions malades, elle devait s’absenter du travail. Si elle s’absentait du travail, elle n’avait pas droit à un congé de maladie. Elle n’était donc pas payée et elle ne pouvait pas payer le loyer. Victime de harcèlement au travail, parfois elle n’a pu que démissionner.

Et puis elle a trouvé un nouvel emploi. Je me souviens qu’elle est rentrée chez nous après son entretien d’embauche et qu’elle m’a dit que si elle pouvait obtenir cet emploi permanent, cela changerait notre vie, et elle avait raison. Elle est allée travailler pour l’État dans un hôpital pour malades mentaux, de pauvres, nous ne sommes pas devenus membres de la classe moyenne, mais nous sommes passés de la pauvreté et de l’insécurité économique à une certaine sécurité financière.

J’ai toujours su que le syndicat était une chose positive, même depuis mon plus jeune âge. Puis, l’État a supprimé son poste et son syndicat s’est battu pour lui obtenir des arriérés de salaire. Elle a reçu un chèque de 7.000 dollars, ce qui représentait plus d’argent ce que nous n’avions jamais eu. Je me souviens lui avoir demandé d’où venait cet argent et elle m’a répondu que c’était parce que son syndicat s’était battu pour elle. 

J’ai toujours eu une relation très positive avec le syndicat. Même si ma mère n’y était pas active, parce qu’elle était une mère célibataire de trois enfants et qu’elle travaillait à plein temps, j’ai toujours su que le syndicat était une force positive. Lorsque j’ai commencé à travailler, et dès que j’ai eu l’occasion de rejoindre un syndicat, je l’ai fait, et j’y suis devenue progressivement plus active.

Un délégué m’a invitée à une réunion syndicale. D’abord, j’ai pensé que, oui, j’aimerais y aller. Puis j’ai réalisé : il est tard et je dois aller chercher mes enfants à la garderie et faire le ménage, donner le bain, préparer dîner... Mais une personne de la délégation syndicale de mon lieu de travail a perçu en moi des qualités de meneuse, avant que je ne les voie moi-même, et n’a pas cessé de me demander de m’impliquer. Cette personne n’a cessé de m’inviter à des manifestations syndicales et un jour, m’a dit : “April, nous avons un problème de sécurité sur le lieu de travail et nous allons demander de l’aide à notre section locale. Nous avons vraiment besoin que vous veniez à la réunion de la section locale, et si vous y venez et votez en faveur de ce que nous demandons, nous pouvons vraiment faire la différence.”

"Je me souviens d’être allée à cette première réunion locale et d’avoir vu beaucoup de personnes blanches assez âgées, mais aussi de m’être rendue compte que j’avais droit au chapitre et que je pouvais contribuer à apporter des changements. "

La raison pour laquelle je me suis engagée dans mon syndicat, en réalité, est que j’ai été invitée à une réunion et que ma section locale, et mon syndicat à l’époque, travaillaient vraiment à l’identification et au développement du leadership. Ils ont investi dans mon leadership. Et lorsque mon syndicat a engagé un représentant syndical, j’ai posé ma candidature et j’ai été embauchée. Je viens du Conseil 28 de l’ASMI, qui est le syndicat des employés de l’État et du Comté ; c’était la section locale de ma mère.

J’ai travaillé comme représentante du Conseil pendant quelques années, avec des négociations de moindre niveau, le traitement de dossiers disciplinaires et la formation de délégués syndicaux. Ensuite, j’ai intégré le département d’action législative et politique et j’ai travaillé comme coordinatrice de terrain à l’échelle de l’État pendant une dizaine d’années, en mettant en place le programme d’engagement politique de nos membres. 

J’ai commencé à travailler pour le Conseil syndical de l’État de Washington en 2015. Autant j’aime mon syndicat d’origine, autant je dois reconnaître que le Conseil syndical de l’État était en fait la seule organisation syndicale qui s’occupait aussi des autres questions qui me tenaient à cœur, en dehors des salaires, des avantages négociés et des conditions de travail. Le Conseil syndical de l’État avait un programme progressiste vraiment audacieux. En 2015, nous étions les seuls à parler du Black Lives Matter, les seuls à travailler sur la réforme de la justice pénale et de la justice climatique. J’ai commencé comme directrice de terrain et pris le poste de la direction politique en 2017. J’ai ensuite été élue Secrétaire-trésorière et j’ai entamé mon mandat au début de 2018.

Le mouvement Black Lives Matter s’est répandu sur toute la planète et le monde inégal dans lequel nous vivons s’est révélé à tous. Les syndicats américains jouent-ils un rôle au sein du mouvement BLM ?

Je peux davantage parler spécifiquement pour l’État de Washington que pour le niveau national. Je pense que les syndicats au niveau national essaient de trouver comment jouer un rôle avec le mouvement Black Lives Matter. Nos structures sont si différentes. On ne fait pas manœuvrer un navire de guerre sur étang. Nos institutions sont comme de grands navires de guerre, remplis de bureaucratie et de processus, et cela ne nous donne pas toujours la souplesse dont nous avons besoin pour travailler avec des mouvements qui sont fluides et n’ont pas de procédures aussi lourdes.

"Nous essayons de voir comment nous pouvons jouer un rôle plus important dans le mouvement Black Lives Matter au sein de l’État de Washington. Nous développons des partenariats plus solides et nous essayons vraiment de comprendre comment nous pouvons utiliser notre pouvoir institutionnel pour protéger et soutenir les communautés de première ligne, tant le mouvement Black Lives Matter que d’autres organisations dirigées par des Noirs ou des Amérindiens et au service de ces derniers. "

Nous essayons d’être prudents et essayons de ne pas nous contenter de venir et de dire, vous savez, voici comment nous pensons que nous devrions faire les choses et que nous devons organiser les marches ou les rassemblements, en oubliant qu’il y a des communautés qui s’exposent littéralement en première ligne. Nous devons trouver auprès d’eux comment aller de l’avant.

Les démocrates ont remporté l’élection présidentielle et vont diriger un pays divisé. Les syndicats et le mouvement Black Lives Matter ont-ils joué un rôle dans l’élection de Joe Biden et Kamala Harris ?

Absolument. Si vous regardez les régions où Biden et Kamala ont gagné ; Detroit, Philadelphie, Atlanta, Milwaukee ; il s’agit de villes métropolitaines, urbaines qui sont à prédominance noire et le sont historiquement. Il ne fait aucun doute que Black Lives Matter, en tant que mouvement et en tant que réservoir de voix, a fait une grande différence en termes de sensibilisation, de dénonciation de Trump et de sa politique, de dénonciation de la fascination et de la rhétorique du racisme. Et, autant cela a fait une grande différence, autant il est reste choquant pour certains d’entre nous que Trump ait pu obtenir autant de voix. Je pense que ce sont des gens qui ne savent pas ce que les Noirs et les Amérindiens de ce pays ont toujours su : le racisme est profondément ancré dans nos systèmes et nos institutions.

Quel rôle les femmes ont-elles joué dans l’élection ?

Le fait que Joe Biden a choisi une femme pour se présenter à la vice-présidence, et qu’il a choisi Kamala Harris, a permis de faire reconnaître que les électeurs noirs, et plus particulièrement les électrices noires, ont été le fondement du Parti démocrate pendant des années. Sans l’implication de femmes noires, Joe Biden n’aurait jamais pu gagner. 

Biden nomme des dirigeants syndicaux dans les équipes de transition

Le président élu Joe Biden a veillé à ce que la voix des travailleurs soit entendue lors de la transition vers son administration. Il a nommé plus d’une vingtaine de dirigeants du mouvement ouvrier dans les différentes équipes chargées de l’évaluation des agences, qui contribueront à faire en sorte que l’administration Biden soit prête.

Vous trouverez ici la liste complète des dirigeants syndicaux nommés dans les équipes de transition de Joe Biden

Vous avez dit que vous passez votre temps à travailler dans des systèmes et des structures qui n’ont pas été conçus pour vous (c’est-à-dire en tant que femme noire). Que faut-il pour que cela change ?

"Plus de représentation ! "

Je ne veux pas tomber dans le cliché, mais la direction du mouvement syndical est en grande partie blanche et masculine. L’Economic Policy Institute prévoit que d’ici 2025, les femmes seront majoritaires dans le mouvement syndical, mais nous ne représentons qu’environ 20 % des postes de direction.

Il y a un réel manque de représentation des femmes, et en particulier des femmes de couleur, et d’une reconnaissance que la convergence du racisme et du sexisme est particulière pour les femmes noires. Elles sont encore moins nombreuses à occuper des postes de direction dans le mouvement syndical. La seule façon de changer cela est d’avoir plus de femmes de couleur dans les postes de direction et une plus grande représentation dans l’ensemble du mouvement syndical.

Tout le monde aime l’idée de soutenir une femme noire pour un poste de direction. Je ne sais pas si tout le monde est préparé à la façon dont les femmes noires dirigent et à ce en quoi c’est différent. Cela signifie qu’il y a parfois une dynamique où les gens ne reconnaissent pas votre style de leadership, car ce n’est pas le même que lorsque les hommes blancs traditionnels dirigent. La seule façon de changer cela est d’avoir plus de femmes et de femmes de couleur. Il ne s’agit pas simplement de faire une place à la table pour un nouveau joueur, mais de s’assurer que chacun reçoive la même main et connaisse les règles afin de pouvoir rivaliser dans la partie.

Il faudra une plus grande représentation, il faudra plus de femmes, et plus particulièrement plus de femmes de couleur dans les postes de direction, pour que nous changions notre manière d’appréhender les rôles de direction. Nous devons identifier le leadership comme relevant davantage de quelqu’un qui, plutôt que de taper du poing sur la table, prend de vraies décisions afin d’avoir quelqu’un qui s’intéresse à la collaboration créative et sache manier la force tranquille autant que jouer des coudes. Il ne s’agit pas d’avoir toutes les réponses, mais de poser toutes les questions.

Le débat autour du racisme structurel dans le mouvement syndical met mal à l’aise en raison de ce que le syndicalisme est censé représenter. Comment pensez-vous que les syndicats peuvent s’attaquer à ce problème ?

Nos propres institutions doivent être disposées à le faire. C’est mon amour pour le mouvement syndical qui me pousse à le critiquer, car je sais la différence que ce mouvement fait dans la vie des travailleurs et travailleuses, de leurs familles et communautés. C’est cet amour qui me permet d’être critique et de réfléchir aux façons dont nous devons changer et aux choses que nous devons faire pour nous assurer que nous sommes perçus comme la force du bien, par les jeunes et les personnes de couleur.

Le Conseil syndical de l’État de Washington élabore un programme destiné à nous permettre de devenir une organisation activement antiraciste. Nous avons créé et pourvu un poste de direction pour la justice en matière de race et de genre, qui nous aidera à traiter ce travail en tant que campagne active. Je suis à la fois, en train de changer et de remettre en question la façon dont nous parlons de la race et de réfléchir à la façon dont nos institutions perpétuent le racisme.

Nous créons un espace pour de nouveaux styles de leadership et nous travaillons avec des dirigeants blancs et des membres de la base blancs pour les aider à voir les différentes manifestations du racisme. Nous devons devenir plus inclusifs.

"Nous avons besoin que les jeunes et les personnes de couleur regardent le mouvement syndical et se disent “c’est l’organisation qu’il me faut et j’y vois ma place, parce qu’elle n’est pas seulement à l’écoute de voix masculines blanches"