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DOSSIER SPECIAL: Les syndicats mettent le STOP au travail précaire

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3 décembre, 2014L’expansion continue du travail précaire est une des menaces les plus graves auxquelles les syndicats sont confrontés, non seulement pour ce qui est de la sécurité d’emploi des travailleurs, leurs salaires et conditions de travail, mais aussi pour leur capacité à organiser les travailleurs pour lutter ensemble pour leurs droits. Pour IndustriALL, la lutte contre le travail précaire est un objectif stratégique fondamental qu’elle intègre dans toutes ses actions, à l’échelon mondial, industriel et régional.

DOSSIER SPECIAL

TEXTE: Armelle Seby

À mesure que la demande de marchés du travail flexibles s’accroît, les entreprises ont recours à l’externalisation et à la sous-traitance, entraînant une explosion du travail précaire bien au-delà de toute légitimité.

À l’insécurité s’ajoutent pour les travailleurs précaires des bas salaires, peu de possibilités de formation, l’insuffisance de la protection de la santé et la sécurité au travail, des horaires de travail fluctuants, une sécurité et une protection sociale réduites, peu de possibilités d’accéder à de meilleurs postes ou emplois et, de manière critique, une représentation syndicale et une couverture de la négociation collective limitée ou inexistante.

La négociation collective est l’un des outils les plus importants à la disposition des syndicats pour réguler le travail précaire et les conditions de travail qui l’accompagnent. Mais le travail précaire est souvent utilisé comme moyen pour saper la représentation syndicale et la négociation collective. Les syndicats sont partout confrontés à la difficulté de recruter et de représenter les travailleurs précaires dont le lien avec un lieu de travail donné peut être faible et de courte durée.

Dans différents pays, les emplois intérimaires et externalisés sont requalifiés de sorte à empêcher que ces travailleurs puissent être membres du syndicat de leur lieu de travail.

Pour les travailleurs dont la relation d’emploi est triangulaire, la négociation collective peut s’avérer pratiquement impossible. L’entreprise utilisatrice où ils sont occupés contrôle leurs conditions de travail alors que l’agence d’intérim ou l’entreprise sous-traitante sont reconnus légalement comme leur employeur, même sans avoir aucun contrôle réel sur leur travail.

Dépasser les obstacles à la négociation collective

L’externalisation constitue un risque réel de fragmentation de la capacité des syndicats à négocier lorsque qu’une entreprise donnée a recours à de multiples firmes de sous-traitance ou agences d’intérim.

Recruter les travailleurs précaires au sein d’un syndicat existant permet de mieux les protéger et de constituer des syndicats plus puissants et, par là, une meilleure protection des travailleurs permanents en prévenant un éparpillement des salariés au sein de structures de négociation séparées et isolées. Dès lors que le syndicat peut démontrer qu’il est capable de négocier au nom des travailleurs précaires, ceux-ci auront davantage tendance à rejoindre des syndicats dont ils constatent qu’ils peuvent agir pour eux.

En Allemagne, les principaux syndicats ont constitué des associations de négociation spécifiques pour les travailleurs temporaires et intérimaires, dans le but de recruter ces travailleurs et d’imposer des critères d’égalité de traitement dans les conventions collectives. Pour avoir mis l’accent avec insistance sur l’amélioration des conditions des travailleurs intérimaires, en 2012, IG-Metall a gagné 38.000 nouveaux adhérents dans le personnel temporaire.

Négociations au niveau sectoriel

En raison de la taille et du nombre d’entreprises liées par les conventions, la couverture au sein de celles-ci est souvent élevée. L’étendue des responsabilités en vertu de la loi peut dépasser le domaine de la convention. Si de tels accords couvrent “tous les travailleurs et travailleuses” concernés par un secteur, par opposition à “salariés”, l’application peut en être étendue jusqu’aux travailleurs soumis à des relations d’emploi précaires.

Au Danemark, dans les secteurs de la production industrielle et du bâtiment, les syndicats ont négocié des accords sectoriels assortis de protocoles sur le travail intérimaire qui stipulent que les travailleurs intérimaires doivent être employés conformément à la convention applicable au secteur et qui régit tous les éléments de la rémunération, la durée du travail et les autres conditions d’emploi importantes.

En Argentine, la Fédération du pétrole et du gaz FASPyGP a pu négocier, dans la convention collective de l’industrie gazière entre autres, une clause qui stipule que toutes les dispositions de l’accord s’appliquent d’égale manière aux entreprises sous-traitantes.

En Afrique du Sud, le NUMSA a conclu dans divers secteurs (automobile, pneu, métallurgie) plusieurs conventions visant à la disparition progressive des courtiers de main-d’œuvre et à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs précaires.

Négociations au niveau des entreprises

La négociation collective à l’échelon de l’entreprise exclut plus souvent les travailleurs précaires, tels que travailleurs intérimaires et externalisés, du fait que ce ne sont pas des salariés directs de l’entreprise utilisatrice. Lorsqu’une négociation sectorielle n’est pas possible, la négociation directe avec l’entreprise utilisatrice pour le compte des travailleurs permanents et des travailleurs externalisés et intérimaires est la meilleure façon de renforcer le syndicat et de lutter pour l’égalité de traitement.

En 2012 au Canada, après un lock-out de six mois à l’usine Rio Tinto d’Alma, Les Métallos USW ont réussi à négocier une convention collective qui limite l’utilisation de travailleurs externalisés à 10% du nombre d’heures travaillées.

Aux États-Unis, l’USW a également conclu avec le manufacturier de pneus Bridgestone un accord limitant le recours à de la main d’œuvre externalisée pour la maintenance. Cette clause a permis à l’USW de limiter à 5% la proportion de travailleurs externalisés dans les sites d’exploitation de Bridgestone. L’entreprise doit aussi consulter la délégation syndicale du lieu de travail sur la nécessité de recourir à l’externalisation et sur sa portée.

Négocier avec les agences et les sous-traitants

Des syndicats ont aussi négocié des accords avec des agences de travail temporaire ou des firmes sous-traitantes reconnues en tant qu’employeurs légaux.

En Thaïlande, à l’usine Chevron-Uni Thai de Laem Chabang (qui assemble des plateformes pétrolières et gazières offshore), deux groupes de travailleurs intérimaires ont obtenu avec les deux agences fournisseuses la signature d’accords. Jusqu’alors ils n’étaient couverts par aucune convention collective et n’avaient aucun droit.

Une meilleure alternative à la négociation individuelle avec les agences ou sous-traitants est de conclure des conventions qui couvrent l’ensemble du personnel temporaire d’un secteur particulier. Bien que négocier avec des agences aux niveaux national et sectoriel ait apporté des résultats importants pour des intérimaires, ceci est resté largement cantonné aux syndicats d’Europe occidentale. De telles conventions ne sont possibles que là où une assise syndicale significative est présente au sein du personnel temporaire et où la négociation collective est bien protégée par la loi et institutionnalisée.

Négociation mondiale

Les Accords cadres mondiaux (ACM) permettent de fixer de commun accord des limites à l’emploi précaire par une négociation à l’échelon mondial avec les entreprises

L’ACM qui lie IndustriALL et GDF Suez offre de larges possibilités pour limiter le travail précaire. GDF SUEZ y “reconnaît l’importance d’un emploi stable à la fois pour l’individu et l’entreprise à travers la préférence pour l’emploi permanent, à durée indéterminée et direct. GDF SUEZ et tous les sous-traitants seront pleinement responsables du fait que tout le travail soit effectué dans le cadre légal approprié et, en particulier, ne chercheront pas à éviter les obligations de l’employeur vis-à-vis de travailleurs dépendants en déguisant ce qui serait autrement une relation de travail ou en faisant un usage excessif des travailleurs temporaires ou intérimaires.”

Limiter le travail précaire

Il est essentiel de mettre des limites au travail précaire parce que, plus le travail précaire gagne du terrain, plus l’unité de négociation se réduit et s’affaiblit, rendant de tels accords impossibles à l’avenir.

Certains syndicats, dont le NUMSA en Afrique du Sud, ont réussi à conclure des accords interdisant ou éliminant progressivement le recours aux courtiers de main-d’œuvre dans des secteurs entiers.

D’autres accords stipulent que les syndicats doivent être consultés avant tout changement qui pourrait affecter le statut des salariés et ils comprennent des outils et des droits pour contrôler les processus d’externalisation.

Au Canada, l’accord qui a mis fin au conflit chez Rio Tinto Alma instaure un comité de l’externalisation composé paritairement de représentants du syndicat et de la direction pour examiner les propositions d’externalisation et formuler des recommandations.

Au Brésil, le syndicat du secteur du pneu Sindicato da Borracha da São Paulo a signé avec des manufacturiers (Bridgestone, Pirelli, Goodyear) des accords régissant les conditions de travail des travailleurs employés directement pour une durée déterminée. Ils stipulent que les temporaires ne peuvent représenter plus de 5% du personnel de production.

En 2012, IndustriALL a signé un accord mondial limitant le travail temporaire. La “Charte du travail temporaire du Groupe Volkswagen” est un document révolutionnaire qui arrête des principes pour le recours au travail temporaire partout dans le monde dans tout le groupe Volkswagen (Volkswagen, Audi, Seat, Skoda, Rolls-Royce, Bentley, Lamborghini, Auto-Europa). Cet accord dispose que la proportion de travail temporaire ne peut dépasser 5% et permet aux syndicats de contrôler la proportion de travailleurs temporaires intérimaires.

Convertir le travail précaire en emploi régulier

Des affiliés ont lancé plusieurs campagnes pour régulariser des travailleurs. Au Sénégal, le SUTIDS a négocié la régularisation de 450 travailleurs temporaires avec les directions de six firmes de la chimie et la pharmacie : SATREC, SIPS, SIVOP, SPN, SYBEL et NDIAMBOURS.

Il n’est pas toujours possible de donner à des travailleurs intérimaires le statut de salarié direct et permanent. C’est pourquoi les syndicats essayent, dans un premier temps, de convertir le travail intérimaire en travail temporaire direct. Cela suffit souvent pour permettre aux travailleurs intérimaires d’adhérer à un syndicat et d’être ainsi couverts par la convention collective.

En Malaisie, les syndicats du secteur manufacturier avaient demandé à représenter les travailleurs intérimaires et externalisés, mais le ministère des ressources humaines a rejeté la demande en arguant que le syndicat n’a pas compétence pour représenter les travailleurs des services. Face à cette situation, le Syndicat des Salariés de la Fabrication du Papier a négocié une régularisation des travailleurs intérimaires et externalisés de Kimberly Clark Malaysia, qui ont obtenu des emplois directs à durée déterminée, ce qui leur a permis de bénéficier des normes et conditions inscrites dans la convention collective.

Améliorer les conditions de travail des travailleurs précaires et protéger leurs droits

Négocier des salaires et des conditions d’emploi identiques pour les travailleurs permanents et pour les précaires a le double avantage d’éliminer la discrimination et de combattre le dumping social. Dans bien des cas, les affiliés ont pu négocier un salaire égal pour un emploi équivalent. L’extension des termes d’une convention collective d’un secteur donné à tous les travailleurs peut également avoir un effet de lissage significatif.

En plus du salaire de base, la rémunération comprend des prestations, de l’ancienneté et d’autres primes auxquelles les travailleurs précaires peuvent ne pas avoir accès. Le traitement égal va au-delà du salaire pour inclure l’accès aux avantages sociaux, aux congés payés, à la limitation du temps de travail, à la santé et la sécurité ainsi qu’à la formation.

Les mesures destinées à maîtriser et limiter le recours au travail précaire doivent être bien conçues de sorte que celles supposées bénéficier aux travailleurs précaires ne finissent pas par rendre leur situation plus précaire encore. Aux Pays-Bas, FNV Bondgenoten a constaté que le fait d’inscrire dans une convention collective le droit à un emploi permanent au terme d’une brève période peut avoir l’effet inverse à celui recherché, les employeurs licenciant les travailleurs intérimaires plus tôt pour échapper à ces dispositions. Il se focalise maintenant sur l’obtention de meilleurs salaires, droits à la pension et opportunités de formation pour les intérimaires.

Protéger la santé et la sécurité des travailleurs précaires

Des études réalisées depuis les années 1990 ont montré que les travailleurs précaires sont beaucoup plus exposés aux risques de santé et de sécurité que les travailleurs statutaires, permanents et directs.

Les conventions qui donnent aux syndicats de l’entreprise utilisatrice accès aux contrats commerciaux qu’elle a conclus avec l’entreprise sous-traitante leur permettent de vérifier les conditions de travail des travailleurs externalisés et intérimaires et d’assurer une meilleure protection de leur santé et leur sécurité au travail.

Après les décès de deux travailleurs sous-traitants venus de Roumanie dans un incendie qui avait complètement ravagé la maison mise à leur disposition par les employeurs,

IG Metall a signé, en 2013, avec les chantiers navals Meyer Werft une convention collective qui élargit la cogestion aux travailleurs sous-traitants. Les deux victimes étaient employées en tant que travailleurs sous-traitants par SDS, une agence de recrutement à laquelle s’adressaient les chantiers navals pour leur fournir des travailleurs dans des conditions de vie et de travail déplorables. La convention stipule que le logement des travailleurs doit être conforme aux normes en vigueur. Un “groupe de travail sur les accords de sous-traitance” composé paritairement de représentants de la direction et des travailleurs a été constitué afin de contrôler le respect de ces dispositions et les infractions font l’objet de sanctions pouvant aller jusqu’à la résiliation de l’accord de sous-traitance.

Protéger les travailleuses précaires

Le travail précaire affecte les femmes de manière disproportionnée. Lorsque les droits en matière d’emploi sont liés à l’ancienneté, il arrive que les travailleuses

précaires ne remplissent pas les conditions pour bénéficier du congé de maternité parce qu’elles ont souvent moins d’ancienneté. Les conventions élargies aux travailleurs et travailleuses temporaires peuvent donner aux femmes un accès aux droits en matière de congé de maternité.

Au Sénégal, le SUTIDS a déjà obtenu la régularisation de centaines de travailleurs précaires, en majorité des hommes. Le syndicat négocie maintenant la régularisation des femmes et se bat pour obtenir un congé de maternité pour les travailleuses temporaires qui sont privées de ce droit.

La lutte continue

La négociation collective joue un rôle vital en limitant le travail précaire et en protégeant les droits et les conditions de travail des travailleurs précaires. Toutefois, les employeurs ne cessent de remettre en question les victoires obtenues par les syndicats.

Les conventions qui ont été négociées ne sont pas toujours respectées et les syndicats doivent continuer à batailler pour les faire appliquer. Lorsque des conventions excluent la possibilité de recourir au travail précaire dans un domaine, les employeurs trouvent de nouveaux moyens d’éviter l’emploi stable.

Et lorsque vient le moment de renégocier les conventions, les syndicats doivent à nouveau se battre pour conserver les avancées qu’ils ont déjà obtenues.

Pour être plus efficace, la négociation collective doit se combiner à d’autres stratégies de lutte contre le travail précaire. Elles incluent la syndicalisation des travailleurs précaires, le renforcement de l’unité entre les travailleurs précaires et les autres, la sensibilisation des travailleurs et du grand public aux dangers du travail précaire, l’action internationale et, surtout, la revendication d’une législation qui encadre de manière efficace le recours au travail précaire par les employeurs.