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PROFIL: Les syndicats en Turquie: tenir bon pour les travailleurs

26 mai, 2016Une terrible pression pèse sur les syndicats dans leur défense des travailleurs contre l’exploitation alors que les employeurs tirent parti de la législation anti-syndicale. 

Profil

Fédérations syndicales: Türk-Iş, DİSK, HAK-Iş

Pays: Turquie

Texte: Walton Pantland 

Lorsque le constructeur automobile Renault a annulé le scrutin syndical et a licencié les travailleurs de son usine de Bursa, en Turquie, en février 2016, l’affilié d’IndustriALL Birleşik Metal-İş a réagi immédiatement. Il a mis la production à l’arrêt et organisé une manifestation pacifique pour défendre ses membres. Dans l’espoir de briser le syndicat, l’entreprise a répondu en faisant appel à la police, qui a fait usage de violence.

En dépit de la signature par Renault d’un accord-cadre mondial avec IndustriALL, la direction locale est apparue déterminée à briser la syndicalisation de l’usine à tout prix.

Ce niveau de confrontation n’est pas rare en Turquie : les employeurs sont coutumiers de violence, d’intimidation, de mises à pied illégales et autres basses tactiques. Les syndicats ne s’en laissent pas pour autant compter. Ce récent conflit chez Renault montre la fracture et le caractère parfois violent du paysage des relations sociales.

Les syndicats en Turquie sont confrontés à une lutte ardue dans un environnement de plus en plus contraignant. À l’issue d’une période faste et de militantisme croissant dans les années 70, un coup d’État militaire en 1980 a conduit à une dure répression des syndicats. Dans le cadre du programme politique du régime militaire, la Confédération des syndicats progressistes DISK et ses affiliés ont été interdits et les membres de leurs exécutifs arrêtés. Ils sont restés interdits jusqu’en 1992.

Le parti AK du président Erdoğan a pris le pouvoir en 2002, remplaçant le gouvernement militaire en place a l’époque. Une nouvelle loi sur les syndicats et les conventions collectives de travail a été introduite en 2012 pour remplacer les anciennes législations émanant de la dictature, mais elle est encore fort éloignée des normes de l’OIT.

Conséquence de cette pression, la densité syndicale dans le secteur privé a été réduite à 3%. Les travailleurs et travailleuses courent un risque élevé d’être exploités et victimes d’abus. 

Il faut à la Turquie des syndicats forts 

L’homicide industriel de 301 mineurs à Soma en 2014 est l’argument le plus irréfutable de la nécessité de syndicats forts en Turquie. La mine de Soma était un piège mortel et l’accident était totalement évitable : il n’a pu se produire que par une tragique convergence de cupidité, d’incompétence et de corruption. La mine était la propriété de l’État mais exploitée par une compagnie privée, un montage semi-privé qui a mené à se focaliser sur les bénéfices aux dépens de la sécurité, le gouvernement fermant les yeux sur les abus.

Non contente d’avoir semé la mort et la destruction, l’entreprise a ensuite licencié par texto 2.800 mineurs de Soma dans le sillage de l’accident et notre affilié Maden-İş a dû mener un rude combat pour obtenir justice. 

Mais la tragédie de Soma n’est que le sommet de l’iceberg : il y a eu 1.500 morts dans les mines turques depuis 2000 et il a fallu une forte pression syndicale pour obtenir

du gouvernement qu’il ratifie la Convention 176 de l’OIT sur la Sécurité dans les Mines. Pour que la C176 puisse fonctionner, les syndicats doivent pourvoir agir librement et les travailleurs doivent être en mesure de dénoncer les problèmes de sécurité et de refuser des tâches dangereuses.

La Turquie est l’un des plus grands producteurs mondiaux de textile. Le secteur est dominé par de petits fournisseurs et est mal réglementé. La plupart des travailleurs et travailleuses du textile gagnent le salaire minimum de 1.647 lires (US$ 570) par mois, ce qui est bien en deçà d’un salaire vital pour la Turquie. Beaucoup ne sont pas déclarés, sont vulnérables à l’exploitation et ne perçoivent même pas le minimum légal. Il n’est pas rare de rencontrer des enfants au travail.

La Turquie possède une longue tradition de production de textiles et de cuirs de qualité et de nombreuses marques prestigieuses, dont Hugo Boss, Mulberry, Benetton, Ermenegildo Zegna et Prada ont recours à des fournisseurs turcs. Mais ces marques haut de gamme ne se privent pas de fermer les yeux sur l’exploitation de la main d’œuvre si ça peut diminuer leurs coûts de production : les travailleurs et travailleuses produisant des vêtements pour Hugo Boss à Izmir étaient payés bien en dessous du salaire vital et ont été licenciés pour avoir rejoint le syndicat Teksif.

La même chose est arrivée aux travailleurs et travailleuses fabriquant les luxueux sacs à main Mulberry, qui se vendent jusqu’à mille dollars, qui ont été virés pour avoir rejoint le syndicat Deriteks. IndustriALL a lancé une campagne internationale contre cette marque afin de les soutenir, ce qui a forcé le fournisseur turc à reconnaître le syndicat. 

Conflit régional et exploitation des réfugiés 

La Turquie se trouve en première ligne de la crise humanitaire, la guerre civile en Syrie ayant conduit à l’arrivée de plus de deux millions de réfugiés. Environ 400.000 réfugiés travaillent en Turquie, la plupart dans l’agriculture, la construction et le textile. Ils sont vulnérables à l’exploitation.

La pression mise par les syndicats et la société civile a conduit à des modifications de la législation du travail, permettant à certains réfugiés de pouvoir maintenant travailler légalement. Aussi, les accords-cadre mondiaux entre IndustriALL et les géants du vêtement Inditex et H&M signifient que la pression peut être mise sur les fournisseurs pour qu’ils traitent les réfugiés de manière correcte.

La guerre civile en Syrie à des effets en Turquie, qui est intervenue fermement aux côtés des rebelles. Daesh, le mouvement de l’État islamique, a exploité des divisions en Turquie en lançant des attaques à la bombe au sein du pays, en particulier contre les forces séculaires, démocratiques et progressistes.

Alarmées par le climat croissant de violence, les confédérations turques DISK et KESK avaient organisé une manifestation sur le thème “Travail, Paix et Démocratie” dans la capitale Ankara, le 10 octobre 2015.

Deux bombes ont explosé au sein du cortège et 103 personnes, nombre d’entre elles étant des camarades syndicalistes, ont été tuées dans ce qui est la plus grande attaque terroriste de l’histoire moderne de la Turquie 

INDUSTRIALL GLOBAL UNION EN TURQUIE

INDUSTRIALL COMPTE 19 AFFILIÉS EN TURQUIE, AU SEIN DES TROIS CENTRALES SYNDICALES DU SECTEUR PRIVÉ, TÜRK-IŞ, DİSK ET HAK-IŞ.

Seuils inatteignables pour le droit de négocier collectivement 

La Loi sur les syndicats et les conventions collectives de travail fixe des seuils pour l’accréditation en matière de négociation collective. Un syndicat voulant signer une convention collective sur un lieu de travail doit avoir recruté au moins 1% de l’ensemble de la main d’œuvre du secteur concerné.

En même temps, il existe également un seuil pour le lieu de travail fixé à 50% qui, pour les entreprises qui possèdent plusieurs sites d’exploitation, est de 40%. En fonction de la législation, les employeurs peuvent facilement se pourvoir devant une juridiction locale en arguant que le syndicat concerné n’a pas une majorité suffisante pour être un partenaire social. Il est très courant pour les employeurs turcs de se débarrasser de la présence syndicale ou, tout du moins, de paralyser le processus de négociation collective.

Les actions en justice prennent des années, empêchant les syndicats de fonctionner librement et efficacement, sapant par ailleurs la nature même des droits syndicaux fondamentaux, dont celui de négocier collectivement. 

LIBERTÉ SYNDICALE MENACÉE

Même si la Turquie a ratifié la Convention de l’oIT sur la Liberté syndicale et la protection du droit syndical, les droits syndicaux fondamentaux restent sous pression.

La constitution de la Turquie dispose clairement que “les salariés ont le droit de former des syndicats sans avoir
à en demander la permission et ont également le droit de devenir membres d’un syndicat ainsi que de librement s’en désaffilier, de sorte à sauvegarder et développer les droits économiques et sociaux ainsi que les intérêts des membres au niveau des relations sociales. Nul ne sera forcé à devenir membre d’un syndicat, non plus de s’en désaffilier.”

En vertu du code pénal, la violation de la liberté syndicale et l’obstruction aux droits syndicaux sont punissables. La réalité est cependant toute autre.

Selon une étude réalisée par la Labor Studies Community en 2015, 4.362 travailleurs et travailleuses ont été licenciés à la suite d’actions entreprises pour défendre leurs droits et 1.116 actions syndicales ont été menées. Le rapport indique que 2.258 ont été licenciés pour avoir simplement rejoint un syndicat et 2.104 pour les actions entreprises. 

Droit de grève : sur le papier seulement 

La législation du travail en Turquie permet que des grèves et lock-outs légaux qui seraient “préjudiciables à la santé publique ou à la sécurité nationale” soient ajournés de 60 jours.

La loi dit également que “si un accord n’est pas trouvé avant la date d’expiration de la période de suspension, le Haut Conseil d’Arbitrage résout le conflit à la demande de l’une ou l’autre des parties dans les six jours ouvrables. S’il en est autrement, la compétence du syndicat des travailleurs sera nulle”.

Dans les faits, l’ajournement équivaut à une interdiction puisqu’il est impossible de continuer à faire 

Nouvelles attaques : introduction d’intermédiaires de travail 

Le parlement turc débat pour l’instant un projet de loi soumis par le gouvernement qui donne le droit à des agences d’emploi privées de recruter des travailleurs et travailleuses dans une série de secteurs. Si elle est adoptée, cette nouvelle loi entraînerait un bouleversement sur le marché du travail, passant d’emplois permanents à des contrats de courte durée et permettant le recours généralisé à des contrats d’emploi précaires.

Le projet de loi autoriserait les entreprises, dans certaines circonstances, à avoir recours à des agences pour un certain pourcentage de la main d’œuvre totale. Les syndicats turcs craignent que cela ne mène à un recours excessif aux agences, justifié par “une croissance imprévue du volume des affaires de l’entreprise” ou par des “augmentations périodiques des affaires”, des situations dont les employeurs pourraient prévaloir à tout moment au sein d’un système de production.

Une commission parlementaire a entériné le projet de loi et on s’attend à ce qu’il soit présenté en plénière à la Grande Assemblée nationale de Turquie. S’il est transformé en loi, des millions de travailleurs et travailleuses vont se retrouver avec des contrats d’agences de placement plutôt que des contrats permanents. 

Contre-attaquer face au travail précaire 

Après un long combat, l’affilié d’IndustriALL Lastik-Is, qui représente les travailleurs du pneumatique, a persuadé les manufacturiers internationaux Bridgestone, Pirelli et Goodyear de faire de milliers de travailleurs sous-traitants des permanents.

L’externalisation, avec ses salaires inférieurs et ses moins bonnes conditions de travail en comparaison avec ceux des travailleurs permanents, est devenue une menace pour la densité syndicale, la négociation collective et la solidarité entre travailleurs permanents et sous- traitants.

Un autre affilié, DISK-Tekstil a franchi un pas inédit chez Greif Enterprises, une société américaine d’emballage, en transformant plus de 1.200 travailleurs sous-traitants en permanents par le biais d’un accord entre le syndicat et l’entreprise. 

Hugo Boss : enseigne de luxe, employeur foireux 

Hugo Boss a dressé tous les obstacles possibles à la syndicalisation au sein de sa
plus importante usine de production à Izmir. La direction jette dehors sans égard les syndiqués et en a été reconnu coupable par la Haute Cour d’Appel de Turquie.

Le Syndicat turc des industries du textile, du tricotage et du vêtement, TEKSIF, un affilié d’IndustriALL, a soutenu pendant plus de trois ans les efforts de syndicalisation des travailleurs de Hugo Boss. Ces travailleurs et travailleuses, dont une majorité gagne moins que le seuil de pauvreté en prestant de longs temps de travail et des heures supplémentaires à discrétion en l’absence de prestations sociales, cherchent à obtenir un salaire vital et un canal d’expression au travail.

Alors que Hugo Boss prétend publiquement se conformer aux normes du travail reconnues internationalement au sein de ses activités mondiales, les 3.000 travailleurs et travailleuses d’Izmir ont vu leurs droits fondamentaux au travail attaqués par leur direction.

Les violations de ces droits comprennent le ciblage de sympathisants syndicaux, leurs familles et leurs amis proches à coup de menaces, de brimades et de licenciements. Il a fallu des actions de longue haleine en justice pour faire reconnaître 20 licenciements abusifs de sympathisants syndicaux entre 2011 et 2014, alors que huit autres procès sont toujours en cours. Bien que la Haute Cour d’Appel a confirmé que ces salariés avaient été licenciés en raison
de leur appartenance syndicale et a ordonné leur réintégration, la direction a opté pour une possibilité offerte par la législation de plutôt leur verser une indemnisation complémentaire.

Cette pratique perdure et la direction locale persiste à licencier des sympathisants syndicaux clé. 

Solidarité internationale pour les travailleurs des équipementiers automobiles 

L’affilié d’IndustriALL Petrol-İş a obtenu une reconnaissance officielle en tant que syndicat représentant les travailleurs de Standard Profil en Turquie et a entamé des négociations collectives à l’issue d’une campagne de syndicalisation de quatre ans.

Standard Profil est une multinationale basée en Turquie fournissant des systèmes d’étanchéité pour véhicules automobiles à de grands constructeurs comme Audi, BMW, Citroën, Daimler, Fiat, Ford, GM, Mercedes, Nissan ou Opel.

Le syndicat a recruté plus de 50% des 2.300 travailleurs des usines de Standard Profil de Düzce et de Bursa et a obtenu une reconnaissance et un enregistrement officiels.

En dépit de cela, l’entreprise avait alors entamé des procédures contre l’enregistrement pour bloquer aux travailleurs l’accès à leurs droits légitimes et avait viré des militants syndicaux de l’usine de Düzce, la plus grande, durant la période de syndicalisation.