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Interview de Michele O Neil, Secrétaire nationale du TCFUA (Textile, habillement, chaussures)

2 avril, 2012

A quoi ressemble le travail précaire en Australie ?

Une chose qui caractérise le secteur de l’habillement en Australie depuis des décennies est que les entreprises fabriquent leurs produits via des chaînes d’approvisionnement complexes et étendues. Ces chaînes ont souvent des niveaux multiples et tout au bout vous y trouvez des personnes qui travaillent depuis leur domicile, en majorité des femmes, principalement d’origine étrangère, n’ayant pas l’anglais pour première langue et travaillant dans un contexte de grand isolement. Elles travaillent communément sept jours par semaine et lorsqu’il y a un rush, elles travaillent jour et nuit. Il est courant qu’elles impliquent d’autres membres de la famille y compris des enfants pour essayer de terminer le boulot et un autre aspect caractérisant ces travailleuses est qu’on leur dit qu’elles ne sont pas des salariées, pas des travailleuses et que les gens qui leur fournissent du travail leur demandent d’avoir un nom d’entreprise ou une structure de société commerciale pour pouvoir leur donner le travail à faire. C’est un arrangement bidon : elles ne sont pas vraiment une entreprise sous-traitante et n’ont en réalité aucune indépendance. Ce n’est qu’une tentative de la part de la société et de la marque concernée de se distancier de leurs responsabilités d’employeurs.

Quelles mesures le TCFUA a-t-il prises?

Il y a plus de 20 ans, nous sommes parvenus à avoir des réglementations qui imposent que vous disposiez, que vous soyez employé dans une usine du secteur ou depuis votre domicile, des mêmes conditions d’emploi et de salaires, mais ça n’a pas réglé le problème. Donc ce que nous faisons maintenant, avec un certain succès, c’est de faire voter des législations dans les différents états qui composent l’Australie.

Nos syndicats font campagne sur le sujet depuis de longues années et nous ne sommes pas seuls, nous faisons partie d’une campagne plus large appelée « Fairwear » composée de syndicats, de groupements religieux, d’étudiants, de militants de diverses organisations et qui depuis plus de 15 ans attire l’attention sur les entreprises qui ne prennent pas au sérieux leurs responsabilités par rapports aux travailleurs de leurs chaînes d’approvisionnement et font pression sur elles pour qu’elles s’associent à des programmes volontaires qui rendent toute la chaîne d’approvisionnement plus transparente. Ce programme d’accréditation repose sur le respect des normes légales minimum en vigueur en Australie. Ainsi, par le biais de la campagne et de la mise au jour par le syndicat de nombreux exemples d’exploitation des travailleurs à domicile, nous sommes parvenus à faire adopter des lois par certains gouvernements d’état et nous en sommes maintenant au point où le gouvernement fédéral va introduire des dispositions nationales qui reprennent ce que nous avons obtenu au niveau des états et rend les choses cohérentes au plan national. C’est maintenant devant le parlement australien et fera l’objet d’un vote dans les prochaines semaines.

Ce projet de loi fait quatre choses fondamentales. La première est qu’elle présuppose que tous les travailleurs externes (notre terminologie en Australie pour qualifier les travailleurs à domicile est travailleur externe) sont des salariés et indique que, nonobstant le fait que vous ayez ou non un nom d’entreprise ou une structure commerciale vous soyez un salarié. En second lieu, il permet à ces travailleurs de récupérer des sommes dues en remontant la chaîne. Ainsi, si la personne qui leur a fourni le travail disparaît dans la nature, ils peuvent remonter à l’entreprise située plus haut dans la chaîne, ou plus haut encore pour récupérer leur salaire et ceci reprend la notion d’emploi « apparent » et vous permet ainsi de récupérer de l’argent auprès de l’employeur apparent et non pas seulement auprès de l’employeur réel. La troisième disposition est de permettre au gouvernement de mettre en place un code obligatoire pour compléter le code volontaire dont j’ai parlé auparavant et qui donne des obligations non seulement aux fabricants mais aussi aux détaillants. Ainsi la loi obligerait les détaillants à rendre toute leur chaîne d’approvisionnement transparente. La quatrième disposition est de donner au syndicat un droit de regard plus important. Pas à l’intérieur des domiciles, nous avons déjà le droit de consulter des dossiers, etc. concernant les travailleurs à domicile et nous ne souhaitons pas avoir le droit de pénétrer au domicile de quelqu’un sans sa permission, mais ça nous donne plus de pouvoir pour intervenir au sein des ateliers clandestins que tout autre syndicat australien n’y est autorisé par la loi. La plupart des autres syndicats doivent donner un préavis de 24h avant d’intervenir et ils ne peuvent consulter que les dossiers de leurs membres. Ce que cette loi nous permettrait serait d’arriver sans préavis et d’aller directement consulter les dossiers de tous les travailleurs, pas seulement ceux des syndiqués.

Comment votre syndicat recrute-t-il les travailleurs à domicile ?

Nous avons essayé une série de méthodes différentes et nous essayons sans cesse des choses nouvelles car il s’agit, selon notre expérience, du groupe de travailleurs le plus difficile à recruter. En raison de la pression à laquelle ils sont soumis, ils craignent d’être associés au syndicat au risque de perdre du travail. Mais la méthode qui a apporté un certain succès est que depuis de nombreuses années, nous organisons des cours d’anglais gratuits qui sont destinés aux travailleurs externes, au sein de leurs communautés, c'est-à-dire dans les régions et banlieues où ils vivent. Ces cours traitent de la langue et d’alphabétisation, mais également des droits et du rôle du syndicat. Nous rendons aussi visite aux travailleurs et essayons d’établir des réseaux par lesquels nous pouvons communiquer avec eux et nous créons des événements pour les rassembler. Une des choses qui caractérise ce travail est son réel isolement donc nous cherchons des occasions pour les rapprocher entre eux. Nous organisons des choses comme un déplacement à un salon du jardin, ou toute autre activité où on peut se rendre en famille. Une autre chose que nous faisons est d’employer des recruteurs qui ont été eux-mêmes des travailleurs externes et qui parlent leur langue. La majorité d’entre eux sont actuellement des vietnamiens donc notre stratégie est d’employer des recruteurs vietnamiens pour qu’ils puissent s’adresser aux gens directement dans leur langue maternelle en ayant eux-mêmes l’expérience de ce genre de travail.

Davantage d’informations sur cette campagne sont disponibles sur http://tcfua.org.au/outworkers/union-campaigns

Depuis que l’interview a eu lieu, le projet de loi a passé le stade du Sénat et doit maintenant être débattu à la Chambre des Représentants.