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DOSSIER: Dans le sillage du Printemps Arabe

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5 décembre, 2013Le Printemps Arabe a changé de manière irrévocable le paysage politique et social dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). La MENA est une région prioritaire pour IndustriALL et ces 18 derniers mois ont donné lieu à des moments clés qui ont fourni l’opportunité de structurer les syndicats et de promouvoir les droits sociaux et économiques des travailleurs. Mais les événements récents montrent également une tendance inquiétante s’agissant des droits syndicaux fondamentaux.

DOSSIER

TEXTE & PHOTOS: Kemal özkan, Ahmed Kamel, Jim Catterson, Carol Bruce
Location: Middle East and North Africa

Photo Principal: Protests across Egypt calling for the resignation of President Mohammed Morsi on 30 June, 2013. IndustriALL

Les travailleurs ont reçu des promesses de démocratie, de droits syndicaux et humains, mais trop souvent, peu de choses se sont concrétisées. Des exemples en provenance de Palestine, du Liban, d'Egypte, de Tunisie, du Maroc et d’Algérie indiquent clairement que la liberté d’association pacifique est soumise à une lourde pression. Une nouvelle Loi sur les Associations adoptée en Algérie en 2012, par exemple, néglige de protéger la liberté d’association en limitant l’accès à des financements étrangers et complique l’enregistrement d’organisations nouvelles ou existantes. IndustriALL, ensemble avec ses affiliés, poursuit la lutte pour la démocratie au sein de la MENA, en se battant pour le respect des droits syndicaux et humains. 

Syndiquer et faire campagne en Egypte

L’aube du Printemps Arabe a montré la voie pour un nouveau syndicalisme au sein de la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Elle a connu l’émergence de nouveaux syndicats indépendants, en particulier en Egypte.

Une vague de privatisations à la fin des années quatre-vingt-dix a marginalisé une large portion de la main d’œuvre et a conduit à de vastes licenciements. En 2004, les travailleurs égyptiens ont entamé une phase sans précédent de lutte pour la liberté d’association et pour de meilleures conditions de vie et de travail. Entre 2006 et 2008, des centaines de grèves sauvages ont été menées en dehors des structures syndicales officielles. Les travailleurs et travailleuses de Misr Mahalla Textile and Spinning Company, la plus grande usine de la MENA qui emploie environ 22.000 salariés, ont mené la lutte. Une série de grève dans d’autres secteurs ont suivi, jetant les fondements du tout premier syndicat indépendant en Egypte, le Real Estate Tax Authority Union en 2008. Le 30 janvier 2011, des syndicats indépendants se sont réunis à la Place Tahrir pour déclarer la fondation de l’EFITU (Fédération des Syndicats égyptiens indépendants). L’EFITU a immédiatement appelé à une grève générale pour accroître la pression en faveur de la démission du régime de Mubarak.

Depuis le début de la révolution le 25 janvier 2011, IndustriALL a suivi de près la situation politique en Egypte, ainsi que ses implications pour les syndicats et les travailleurs. IndustriALL apporte son soutien aux syndicats indépendants en Egypte par le biais de l’éducation, de la syndicalisation et de campagnes en vue de construire des syndicats plus forts.

Avec le soutien du Solidarity Center de l’AFL-CIO (la Confédération américaine des Syndicats) et de la CSI, IndustriALL a tenu quatre séminaires avec des syndicats indépendants depuis le début de 2013. Le premier séminaire de planification et d’évaluation a eu lieu au Caire avec la participation de 50 représentants de secteurs industriels relevant d’IndustriALL. Le séminaire a accueilli des leaders de l’EDLC (Congrès démocratique du Travail d'Egypte) et de l’EFITU ainsi que des représentants de l’OIT, de la CSI et de la FES. Les participants ont débattu des défis auxquels font face leurs syndicats, comme l’absence de reconnaissance officielle, l’ingérence de l’état et les obstacles à la collecte de cotisations syndicales.

Le projet s’est poursuivi avec trois autres séminaires sur le renforcement des capacités des nouveaux syndicats. A Alexandrie, les 25 participants du second séminaire se sont concentré sur le secteur de l’énergie. Au cours des deux journées de travail, ils ont eu l’occasion de parler de leurs défis en tant que syndicats indépendants dans les secteurs du pétrole, de l’électricité et des mines en Egypte. Parmi ceux-ci, on notait la sous-traitance, la résistance des patrons à vouloir reconnaître les syndicats indépendants, l’approche des entreprises par rapport au travail intérimaire et le refus de proposer des contrats décents.

C’est la ville de Mahalla El Kobra, siège de l’industrie du textile et du vêtement en Egypte, qui a accueilli le séminaire national dédié aux défis pour les travailleurs du textile. Les participants, en provenance de diverses branches du secteur, ont témoigné de la grande quantité de licenciements et de mise à la retraite anticipée qu’a connu l’industrie du textile et du vêtement en Egypte depuis les années 1990. Ceci est dû à la restructuration économique, à la privatisation et à la corruption généralisée, nombre d’usine ayant fermé pour cause de mauvaise gestion. Il existe un besoin de mettre en place des mécanismes nationaux pour faire face à la privatisation et remettre en route des usines à l’arrêt, ainsi que pour mettre en œuvre des méthodes modernes et efficaces de gestion dans les usines étatisées. Le manque de capacité de recrutement syndical dans le secteur privé et l’absence de concertation sociale doivent être contrés.

Sadat city est une des cités industrielles qui connaît la plus rapide croissance en Egypte. La ville accueille des entreprises privées nationales et étrangères, un certain nombre d’entre elles bénéficiant de « l’Accord sur les Zones industrielles qualifiées entre Egypte, Israël et les Etats-Unis ». C’est là qu’IndustriALL a tenu son quatrième séminaire destiné à apporter un soutien au mouvement syndical indépendant au sein duquel les jeunes sont prépondérants. Les travailleurs ont reçu une formation sur les matières relatives aux négociations collectives ainsi que des informations sur les évolutions récentes concernant le droit du travail et la législation syndicale.
Dans le cadre de ce programme spécial d’IndustriALL, plusieurs groupes de travailleurs ont été inspirés à fonder des syndicats, pour ensuite rejoindre des structures régionales et nationales plus importantes. IndustriALL a récemment affilié le Syndicat général de l’Electricité et de l’Energie qui est le premier syndicat indépendant d’Egypte à s’affilier.

La révolution a permis de changer le régime mais n’a pas réussi à éliminer son héritage politique et ses répercussions. Récemment, des travailleurs égyptiens syndiqués auprès d’affiliés d’IndustriALL ont eu à faire face à différentes violations de leurs droits. IndustriALL a fait campagne en leur faveur et porté ces affaires à l’attention des autorités et de l’opinion publique égyptiennes.

Depuis la fondation de la première structure syndicale égyptienne à la fin des années 1950, les travailleurs égyptiens ont été privés du droit de se syndiquer librement en dehors des organisations officielles reconnues par le gouvernement. Une longue lutte s’en est suivie dans le cadre des discussions actuelles sur l’adoption d’une nouvelle législation sur les syndicats qui garantisse la liberté d’association. Au cours des deux dernières années, une série de projets de lois ont été discutés et soumis au gouvernement et au parlement. En raison de conflits d’intérêt entre certains groupes arrivés au pouvoir après le renversement du régime de Mubarak, la législation attend toujours d’être adoptée.

Les travailleurs égyptiens, l’OIT, IndustriALL et les autres Fédérations syndicales internationales pressent le gouvernement égyptien de promulguer la loi le plus tôt possible. IndustriALL continuera à soutenir les travailleurs et travailleuses d’Egypte jusqu’à l’obtention des revendications de leur révolution : du pain, la liberté et la justice sociale.

Nouvelle unité en Irak alors qu’IndustriALL fait campagne pour une législation du travail juste

L’Irak est toujours en attente d’une législation qui protège les droits des travailleurs, garantisse la liberté d’association et gère les relations sociales. Dans le but de consolider et de coordonner les forces, un nouveau Conseil national d’IndustriALL a été mis en place le 10 juillet à Bagdad.

La législation actuelle, héritage du régime de Saddam Hussein exclut l’existence de syndicats capables d’exercer leurs activités en toute liberté et indépendance. Elle interdit de s’affilier à un syndicat indépendant et de négocier collectivement, à la fois dans les secteurs public et privé, et interdit aux syndicats de détenir des fonds, de collecter des cotisations et de gérer des avoirs. Il n’existe aucune disposition concernant le droit de grève et il est explicitement interdit aux travailleurs de services essentiels de partir en grève. De plus, des pratiques anti-syndicales impitoyables sur les lieux de travail par le biais de menaces, d’intimidations, d’enlèvements, de torture et de meurtres ne sont pas rares.

En dépit de cette adversité, les travailleurs irakiens ont réussi à former leurs propres syndicats. Au cours des dernières années, six affiliés irakiens représentant des travailleurs des secteurs du pétrole, de la pétrochimie et de l’électricité ont rejoint IndustriALL et d’autres sont intéressés par l’affiliation.

La mise en place du Conseil National d’IndustriALL Global Union par six affiliés irakiens et un grand pas en direction d’un regroupement des forces pour lutter en faveur d’une législation syndicale.

Lors d’une visite à Bagdad, IndustriALL a rencontré M. Osama Al-Nujaifi, le Président du Parlement irakien, M. Nassar Al-Rubuiee, Ministre du Travail et des Affaires sociales et M. Kanna Yonadam, Président de la Commission du Travail et des Affaires sociales du Parlement, pour discuter de la législation actuelle. Mis sous pression au plan intérieur et international, le gouvernement irakien a rédigé un projet de nouvelle législation du travail, mais loin des ambitions des syndicats.

IndustriALL a dit clairement que la législation devrait couvrir le secteur public. Elle doit également rendre plus simple la formation d’un syndicat en s’assurant que les prérequis soient conformes aux normes de l’OIT : les syndicats doivent être autorisés à déterminer et mettre en place leurs propres structures démocratiques et la loi doit prévoir des garanties efficaces contre toute ingérence dans le mouvement syndical de la part du gouvernement et des employeurs.

IndustriALL, en collaboration avec la Confédération Syndicale Internationale (CSI), les syndicats irakiens affiliés et les confédérations syndicales nationales, fait campagne pour qu’on légifère sur la question syndicale. A cette fin, IndustriALL et la CSI ont envoyé une lettre conjointe au Président du Parlement irakien.

Somalie

L’offshore en Afrique de l’Est fait partie des nouvelles aires d’exploitation de pétrole et de gaz et la Somalie est l’un des derniers pays à avoir attiré l’attention des grandes multinationales. IndustriALL a été en contact avec la confédération syndicale affiliée de la CSI, la FESTU (Fédération des Syndicats somaliens) et a proposé de collaborer avec elle et de lui prêter assistance pour syndiquer et défendre les droits des travailleurs. La FESTU est la première confédération indépendante et démocratique du pays et compte actuellement dix affiliés.

Libye

En 2011, le gouvernement autocratique de Muammar Kadhafi a été renversé après six mois de soulèvements et de guerre civile. Le principal groupe d’opposition, le Conseil national de la Transition (CNT) a déclaré le pays libéré est s’est engagé à créer un état pluraliste et démocratique. A l’issue des premières élections libre en six décennies, le CNT a transmis le pouvoir à un parlement nouvellement élu, le Congrès général national, en août 2012. Le pays est maintenant confronté à de nombreux défis dont une pléthore de groupes armés qui refusent de déposer les armes. Le Libye est gangrenée par l’instabilité et est presque entièrement dépendante de son pétrole et de son gaz qui représentent 95% de ses exportations. Des gardes armés, avec parmi eux des rebelles ayant pris part à la guerre civile, ont été formés par le ministère de la défense pour protéger l’industrie pétrolière. Un bras de fer avec les anciens membres de la milice s’est en suivi et des grèves menées récemment par les gardes ne laissant en fonctionnement que deux des terminaux du pays et des exportations d’à peine 160.000 barils par jour. La production a elle chuté d’1,5 million à 500.000 barils par jour. Les travailleurs du secteur pétrolier, membres du Syndicat des Travailleurs des Secteurs du Pétrole et du Gaz, auraient selon nos informations mené des protestations devant le Congrès pour exiger que le gouvernement rouvre les champs et les terminaux pétroliers du pays.

IndustriALL ne ménage aucun effort pour apporter un soutien aux nouveaux syndicats de Libye, en particulier ceux de l’industrie pétrolière.

Un certain nombre de multinationales du pétrole opèrent dans le pays, dont celles pour lesquelles existent des Accords Cadres Mondiaux (ACM).

Tunisie

Le Printemps Arabe a débuté en Tunisie et les syndicats de l’Union générale tunisienne du Travail (UGTT), ont été aux avant-postes de la lutte. L’UGTT est apparue comme un médiateur incontournable de la révolution, ayant gagné la confiance de forces politiques divergentes. C’est au sein même du syndicat que le comité qui a réglé la transition vers les élections du 23 octobre 2011 a été formé. Les syndicats ont aussi engrangé des victoires pour leurs membres et les travailleurs et travailleuses en général, dont des contrats permanents pour plus de 350.000 salariés autrefois temporaires.

La Tunisie est actuellement confrontée à une crise politique et économique, un terrorisme croissant, un chômage en hausse et une économie en déliquescence. La tripartite qui dirige la Tunisie s’est tournée vers l’UGTT pour sortir de l’impasse politique. L’UGTT est restée résolument en dehors du contrôle du gouvernement islamiste qui a dû composer avec le rôle et le statut du syndicat. De récentes discussions ont vu la coalition s’entendre sur un calendrier d’un mois pour achever la constitution et organiser de nouvelles élections à l’issue desquelles le gouvernement s’effacera.

Avec plus de 500.000 membres est une base très forte dans les zones rurales où la révolution a débuté, l’UGTT représente une véritable force. Après la révolution, elle a à nouveau été prise pour cible. Le 4 décembre 2012, alors que le syndicat se préparait à commémorer le 60e anniversaire de l’assassinat d’un de ses anciens dirigeants, son siège a été attaqué et dix personnes blessées. La réaction de l’UGTT a été d’appeler à une journée de grève nationale.

IndustriALL compte actuellement trois affiliés en Tunisie, tous membres de l’UGTT. Tahar Berberi, dirigeant de la Fédération Générale de la Métallurgie et de l’Electronique est membre des Comités exécutif et des Finances d’IndustriALL. Avec son aide, une réunion et un séminaire des affiliés se tiendra à Tunis pour considérer la façon dont les syndicats du pays peuvent être soutenus par le mouvement international face à la situation actuelle.

Palestine

IndustriALL compte trois affiliés en Palestine, qui sont des fédérations d’industrie de la PGFTU, Fédération générale des Syndicats palestiniens. Celle-ci est dirigée par Shaher Sae qui a remporté en 2011 le prestigieux Prix international des Droits syndicaux Arthur Svensson, attribué chaque année par Industri Energi, affilié norvégien d’IndustriALL, en mémoire du leader syndicaliste norvégien.

La PGFTU est ses syndicats affiliés luttent en faveur des droits syndicaux en Palestine, ainsi que pour le droit des Palestiniens à l’auto-détermination. De nombreux affiliés d’IndustriALL, en particulier La Centrale Générale FGTB de Belgique, poursuivent un partenariat avec les syndicats de la pétrochimie pour soutenir leur lutte pour la justice sociale.

Les femmes arabes se syndiquent

Le Réseau des femmes arabes fonctionne sous les auspices de la CSI et regroupe des femmes syndicalistes. L’objectif du réseau est de renforcer la situation des femmes sur le marché du travail et au sein des syndicats dans la région. En mai et juin une formation a eu lieu en Egypte pour débattre de la détérioration des droits des femmes. L’ordre du jour portait aussi sur la constitution et son impact sur les femmes, leur rapport au marché du travail en Egypte, les promotions et la discrimination au travail, les besoins en matière de garderie d’enfants sur le lieu de travail et la prédominance des hommes dans les syndicats. Une formation pour les femmes a eu lieu également au Maroc et en Algérie.

IndustriALL a effectué les premières démarches pour créer son propre réseau des femmes pour la Région MENA.

Ligue des Syndicats démocratiques arabes de la CSI – Vers une organisation régionale des syndicats arabes.

Une nouvelle structure syndicale pour la Région arabe est en cours de création au sein de la CSI. Deux réunions tenues à Amman, en Jordanie, ont réuni les organisations syndicales affiliées ou associées à la CSI, les Fédérations syndicales internationales, des organisations soutenant la solidarité et l’ACTRAV de l’OIT. Les participants ont salué la structure proposée qui est destinée à renforcer les syndicats démocratiques et sont convenus de la soutenir pendant cette période critique. Une nouvelle structure indépendante est considérée comme essentielle pour que les syndicats soient en mesure de répondre efficacement aux aspirations politiques et sociales légitimes exprimées par les révolutions dans la région arabe. Une charte établissant les principes fondamentaux d’action est en cours d’élaboration, avec un accent particulier pour la liberté, l’égalité et la justice sociale.