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DOSSIER: IndustriALL aux avant-postes de la lutte pour les travailleurs bangladais de l’habillement

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5 décembre, 2013L’Accord sur les mesures de sécurité ayant trait aux incendies et aux bâtiments au Bangladesh est une percée historique qui couvre plus de 2 millions de travailleurs et travailleuses de l’habillement. Rompant avec le ratage des audits sociaux menés par les entreprises par le passé, en vertu de l’Accord les syndicats et les multinationales travaillent ensemble pour améliorer la situation précaire des travailleurs de l’habillement du Bangladesh.

DOSSIER

Photo principal: Garment worker in Accord factory in Gazipur. Abir Abdullah

TEXTE: Tom Grinter

Plus de cent marques et détaillants, ce qui concerne plus de deux millions de travailleurs dans mille six cents usines, collaborent maintenant avec les Fédérations Syndicales Internationales IndustriALL et UNI. Cette large coalition représente une masse critique dans le secteur de la confection. Ensemble, elle a travaillé dur pour jeter les fondements de l’Accord de sorte à ce que tout soit prêt sur le terrain au Bangladesh pour fonctionner dès décembre 2013.

Un certain nombre de facteurs font de cette large coalition une nouveauté : sa taille, le sérieux des engagements contraignants ainsi que le rôle central joué par des organisations syndicales nationales et internationales. En tant que partenaires, les syndicats sont les seuls acteurs capables d’assurer de manière fiable la transparence et le suivi des conditions et des processus d’inspection. Depuis trop longtemps, le secteur s’est basé sur des audits ponctuels effectués par des organismes créés et financés par les marques elles-mêmes. Des relations sociales fortes peuvent remplacer ce modèle et faire mener des inspections de sécurité constantes dans un contexte où les travailleurs sont à même de refuser un travail dangereux.

Le travail qui a mené à l’Accord a été rendu possible par l’horrible catastrophe industrielle de Rana Plaza. Le 24 avril 2013, un immeuble commercial de huit étages s’est effondré à Savar, dans la banlieue du Grand Dacca, la capitale du Bangladesh. Avec un bilan s’aggravant jour après jour pour atteindre un total de 1.229 morts, les consommateurs et la presse a réclamé un changement. L’ampleur de la catastrophe de Rana Plaza imposait un changement en profondeur allant au-delà de l’habituel recours à la justice au plan local et à la condamnation sévère du propriétaire de l’usine.

La catastrophe industrielle est survenue le matin du 24 avril à 9h00. L’immeuble effondré, construit sans permis, contenait cinq ateliers de confection employant 5.000 travailleurs et travailleuses. Les cinq entreprises étaient Ether Tex, New Wave Bottoms, New Wave Style, Phantom Apparels et Phantom-TAC, produisant pour différentes marques occidentales bien connues.

Le 23 avril, la veille de l’effondrement, de larges fissures structurelles étaient apparues dans les colonnes de soutènement du Rana Plaza. Mais le propriétaire du bâtiment, Sohel Rana, et les propriétaires des ateliers de confection ont snobé les autorités locales lorsqu’elles ont ordonné l’évacuation complète. Au lieu de cela, les travailleurs et travailleuses ont reçu l’ordre d’être tôt sur place le lendemain matin de sorte à occuper leur poste de travail avant l’arrivée des autorités. Un travailleur de Rana Plaza était contraint de travailler trois jours sans salaire pour toute journée de travail manquée, ce qui a fait hésiter les travailleurs à rester à l’abri chez eux ce 24 avril. Les dirigeants de Ether Tex ont menacé ceux qui ne se présenteraient pas le 24 avril d’un mois de retenue de salaire.

Le jour où le bâtiment industriel s’est effondré, le Secrétaire général d’IndustriALL, Jyrki Raina, a déclaré :

Cette terrible tragédie souligne l’urgence de mettre fin à ce nivellement par le bas qui consiste à fournir de moyens de production bon marché à des marques internationales, un phénomène qui a coûté la vie à des centaines de travailleurs et travailleuses. Les marques et les détaillants internationaux sont responsables de l’ensemble de leurs chaînes de production. Le temps est maintenant venu pour eux, les fournisseurs et le gouvernement bangladais de s’asseoir à une table avec IndustriALL et ses affiliés pour s’entendre sur un programme de sécurité qui permette de s’assurer que cela ne puisse plus jamais arriver. 

De grandes marques s’y sont jointes, davantage suivent

Réagissant rapidement au désastre de Rana Plaza, IndustriALL a mis sur pied une alliance au niveau des chaînes d’approvisionnement avec la Fédération Syndicale Internationale UNI, qui représente les syndiqués des secteurs du commerce et de la distribution occupés par les marques et détaillants de l’hémisphère nord, afin de constituer l’Accord sur les mesures de sécurité ayant trait aux incendies et aux bâtiments au Bangladesh. Des ONG telles que la Campagne Clean Clothes, le Workers’ Rights Consortium, le Maquila Solidarity Network et l’International Labour Rights Forum, ont également joué un rôle important.

Deux des plus grandes entreprises de confection au plan mondial, H&M et Inditex, ont été les deux premières marques à signer l’Accord le 14 mai. De nouveaux signataires viennent s’ajouter toutes les semaines.

L’Accord est source de fierté pour IndustriALL, passera dans son histoire comme LA réalisation de sa première année d’existence et montre au monde entier la puissance et l’ambition de cette nouvelle force syndicale, »

a déclaré le Secrétaire général d’IndustriALL, Jyrki Raina.

Ensemble, nous allons faire du secteur de la confection au Bangladesh une industrie sûre et durable. 

Des discussions préliminaires ont eu lieu concernant la possibilité d’étendre dans le futur Accord à d’autres pays et même à d’autres secteurs d’industrie. Le Bangladesh n’est malheureusement pas le seul pays dans le monde où les travailleurs de l’habillement œuvrent dans des conditions dangereuses pour des salaires de misère. L’Accord du Bangladesh offre aux marques et aux détaillants l’opportunité de faire le ménage au sein de leur chaîne d’approvisionnement et d’éviter de mettre à nouveau à mal leur réputation avec la mort d’autres travailleurs. Une coordination réussie ouvrira la voie à un travail comparable ailleurs.

Une usine dangereuse a été identifiée en juin au sein de la chaîne d’approvisionnement de Tesco, signataire de l’Accord. L’affaire Liberty Fashions n’a pas été traitée dans le cadre de l’Accord, car elle est antérieure à la mise en place de ses mécanismes. Tesco, une de plus importantes marques à avoir signé l’Accord sur les mesures de sécurité ayant trait aux incendies et aux bâtiments au Bangladesh, mérite beaucoup de crédit pour son rôle de meneur au niveau de l’identification des risques et de la coopération avec les syndicats pour assurer que les travailleurs ne soient plus mis en danger. Lorsque l’équipe d’inspection de Tesco a découvert en juin que l'usine n°2 de Liberty Fashions courrait le danger imminent de s’effondrer, un processus a été mis en place pour voir si l’usine pouvait être réparée et les emplois sauvés. Un certain nombre de marques et de détaillants ont travaillé ensemble pour assurer le versement des salaires et primes de l’Eid des travailleurs. Malheureusement, à l’issue de discussions tenues à Londres, M. Huq n’a pas soumis un plan crédible. Liberty a accumulé 18 millions de dollars de dette et court un sérieux risque de fermeture. Sean Ansett, le Directeur intérimaire de l’Accord, a conduit les pourparlers avec la BGMEA et a également rencontré les leaders syndicaux Roy Ramesh et Amirul Amin. Au moment où nous écrivons, les travailleurs de Liberty Fashions manifestent pour que soient versés les salaires qui leur sont dus par le propriétaire de l’usine et une solution doit encore être trouvée.

Le cas de Liberty a été un succès s’agissant de tenir à l’écart les travailleurs d’une usine dangereuse où une catastrophe aurait pu survenir à tout moment. Bien que cette affaire n’ait pas été traitée dans le cadre de l’Accord, le niveau de coopération et de coordination inédit qu’elle a suscité a eu une influence positive sur le processus.

Engagements d’IndustriALL Global Union au Bangladesh

En parallèle au travail autour de la mise en œuvre de l’Accord, l’action d’IndustriALL au Bangladesh se focalise sur quatre autres points, comme le Comité exécutif s’y est engagé :

  • Réforme de la législation du travail pour garantir la liberté d’association
  • Augmentation du salaire minimum de 38 US$ pour atteindre un salaire vital d’ici à 2015
  • Lancement d’un vaste projet de recrutement pour assurer une présence syndicale dans les 4.500 usines de confection
  • Mise sur pied d’un modèle d’indemnisation pour les victimes de Rana Plaza et de Tazreen.

L’IBC (Conseil des affiliés d’IndustriALL au Bangladesh) regroupe les syndicats affiliés pour mener des actions communes sous l’autorité de son Secrétaire général élu Roy Ramesh. Il y a un énorme potentiel de recrutement et de croissance pour les syndicats de la confection. IndustriALL va maintenant favoriser ce mouvement dans le cadre d’un vaste projet de syndicalisation financé en partie par la Confédération des Syndicats néerlandais FNV.

IndustriALL soutient depuis longtemps les appels de ses affiliés bangladais pour une hausse du salaire minimum dans le secteur afin d’en faire un salaire vital. L’IBC (Conseil des affiliés d’IndustriALL au Bangladesh) est unanime dans sa revendication en faveur d’une augmentation urgente du salaire minimum à plus de 100 US$ par mois par rapport aux 38 actuels. Le 21 septembre, 200.000 travailleurs bangladais de la confection se sont mobilisés pendant trois jours à Dacca et ailleurs dans le pays pour appeler à un salaire vital et rejeter fermement  une offre dérisoire faite par les partons lors de négociations.

Récemment, l’attention s’est portée sur des discussions au sein d’une commission des salaires créée par le gouvernement afin de faire une recommandation sur un meilleur salaire minimum applicable à tout le secteur. IndustriALL a critiqué l’absence d’un représentant des syndicats au sein de cette commission. L’étincelle qui a mis le feu aux poudres de ces manifestations géantes en septembre a été la proposition inappropriée soumise auprès de cette commission par les associations patronales du secteur BGMEA et BKMEA, de l’ordre de 3.600 BDT, soit une hausse de moins de 20%.

Le Secrétaire général de l’IBC Roy Ramesh a déclaré :

L’IBC a proposé de fixer les salaires minimums, en se fondant sur les Objectifs du millénaire pour le développement et le coût de la vie, à l’équivalent d’environ 120 US$ par mois 

Les travailleurs du secteur ont dirigé la colère de leur mobilisation dans les régions industrielles de Gazipur, Savar, Tejgaon, Ashulia, Mirpur, Uttara, Badda et Dacca contre les influentes BGMEA et BKMEA, puisque ce sont elles qui bloquent toute revalorisation significative.

Les progrès au sein de la commission des salaires ont été très lents et la BGMEA semble toujours vouloir attendre novembre-décembre avant de donner son aval à un accord. Elle veut apparemment se rendre d’abord avec le ministère du travail en Thaïlande, au Cambodge et au Vietnam pour étudier la question du salaire vital et veut s’assurer que les marques et détaillants sont bien disposés à payer des prix équitables. Lors de récents pourparlers d’IndustriALL avec de grandes marques comme Inditex, H&M et Primark, celles-ci ont clairement réitéré leur engagement par rapport à des salaires minima plus élevés. Comme nombre d’autres marques, elles sont disposées à payer davantage mais, à ce stade, il n’y a pas d’engagement de la part de Walmart et de ses alliés. Cette lenteur fait craindre de nouvelles agitations. La campagne en faveur d’une réforme de la législation du travail bangladaise qui la rendrait conforme aux normes de l’OIT est une priorité vitale. Une législation anti-travailleur a été l’obstacle majeur à la syndicalisation et à la négociation collective. Ce processus de réforme fait l’objet d’un fort lobbying de la part des patrons dans pays ainsi que des acheteurs internationaux pour faire constamment pression sur le Premier Ministre Sheikh Hasina pour qu’il maintienne les droits des travailleurs à un niveau minimaliste.

L’Organisation internationale du Travail (OIT) mène la danse pour faire pression sur le gouvernement bangladais afin qu’il mette en place des réformes adéquates de sa législation du travail. Une délégation tripartite de haut rang de l’OIT a mené  une importante mission à Dacca du 1er au 4 mai, immédiatement après la catastrophe de Rana Plaza. Cette mission a défini un important plan d’action de l’OIT qui comprend les points suivants :

  • Soumettre au Parlement, au cours de sa prochaine session, devant avoir lieu en juin 2013, un projet de réforme du droit du travail ; il prendra en considération les contributions des partenaires tripartites et devrait améliorer la protection, en droit et en pratique, des droits fondamentaux à la liberté syndicale et à la négociation collective, ainsi que la santé et la sécurité au travail.
  • Mettre en œuvre dans son intégralité le Plan d’action tripartite national sur la sécurité incendie dans l’industrie du prêt-à-porter et en étendre la portée pour inclure l’intégrité structurelle des bâtiments en vue d’améliorer la santé, la sûreté professionnelle et structurelle, et d’autres secteurs de vulnérabilité, à identifier en concertation avec les acteurs concernés.
  • Dans les six mois, faire recruter par le gouvernement 200 inspecteurs supplémentaires et s’assurer que le Département de l’inspecteur en chef des usines et établissements aura été élevé au grade de Direction avec une allocation budgétaire annuelle suffisante pour lui permettre i) de recruter au moins 800 inspecteurs et ii) de développer les infrastructures nécessaires à leur propre fonctionnement.

Indemnisations : fixer une norme pour le futur

Les indemnisations sont une partie du travail difficile mais importante qui impliquent de nombreux acteurs. IndustriALL a pris les devants et a été en mesure d’amener l’OIT à prendre la présidence impartiale du processus d’indemnisation après les tragédies de Rana Plaza et Tazreen. Bien qu’indemniser les familles des victimes et les travailleurs blessés des suites de ces catastrophes industrielles est important en soi, l’importance de ce processus est magnifiée par la possibilité de fixer un précédent pour tout futur accident qui impliquerait des morts.

IndustriALL a insisté pour obtenir une proposition de modèle d’indemnisation dans le cadre des négociations avec les marques et détaillants se fournissant à Rana Plaza. Il existe des variantes à ce modèle et un certain niveau de flexibilité. La priorité est qu’un montant d’indemnité décent soit versé d’urgence et qu’un mécanisme soit établi et serve de précédent pour éviter de longs délais à l’avenir.

Des experts internationaux ont exposé au cours des négociations les meilleures pratiques pour l’établissement d’un fond d’indemnisation, sous la houlette d’une commission multipartite, ce qui pourrait se faire par le biais d’une convention entre toutes les parties concernées. Une solution durable devra être trouvée en partenariat avec les marques, l’OIT, le gouvernement bangladais, la BGMEA, les syndicats bangladais et les ONG. Nous espérons sincèrement qu’une solution aura été trouvé d’ici à ce que ce magazine soit mis sous presse.

Un certain nombre de marques, comme Walmart et Gap, ont refusé de s’asseoir à la table de négociation, alors que certaines ont du y être encouragées. A ce stade, la firme britannique Primark a pris la tête du mouvement en assurant pour 3.630 blessés et familles de victimes six mois complet de salaire jusqu’à fin octobre. Primark a également mis à disposition son infrastructure bancaire sur place au Bangladesh pour transmettre tout fond qui serait mis à disposition en urgence.

Dénonçant les absents à la réunion portant sur les indemnisations tenues à Genève les 11 et 12 septembre, la Secrétaire générale adjointe d’IndustriALL Monika Kemperle a déclaré :
 

L’indifférence affichée par les marques absentes par rapport à la souffrance des travailleurs du Bangladesh dont les vies ont été détruites lors des accidents évitables de Tazreen et Rana Plaza choque au plus haut point. Les multinationales occidentales ont multiplié les vaines promesses et les contrevérités depuis l’incendie de Tazreen et l’effondrement du Rana Plaza afin d’éviter de débourser des sommes qui représentent une fraction infime de leur chiffre d’affaires. 

La vérité au bout du compte est qu’au Bangladesh les multinationales peuvent se permettre ce qui n’est pour elles qu’un petit prix à payer pour transformer les conditions au sein de leurs chaînes d’approvisionnement. Sans changement systémique dans chacun de ces domaines d’action, les travailleurs devront continuer à trimer dans des conditions dignes de l’esclavage, en gagnant des salaires de misère et sans le droit de se syndiquer. IndustriALL va continuer à se porter à l’avant-garde du combat pour obtenir les changements dont les travailleurs bangladais ont besoin et qu’ils méritent ainsi que pour rendre ce secteur sûr et durable.