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DOSSIER SPECIAL: Assainir la demolition des navires métier le plus dangereux du monde

8 décembre, 2015Les travailleurs de ce secteur sont confrontés à des conditions de travail dangereuses et précaires, avec très peu de formation, d’équipement de sécurité et de services médicaux, tout cela pour des salaires de misère. IndustriALL Global Union fait campagne pour soutenir la syndicalisation dans les chantiers d’Asie du Sud et pousse les gouvernements des pays où les industries navales sont fort présentes à assumer la responsabilité de la sécurité des travailleurs.

Dans un environnement où sont souvent présents des substances chimiques toxiques, de l’amiante et du pétrole, les travailleurs utilisent des chalumeaux à gaz et des masses pour démolir des bateaux, un processus qui prend de six à huit mois et jusqu’à un an pour un gros pétrolier. Grues en mouvement, chutes de tôles, explosions de gaz et ressorts qui s’échappent sont des risques permanents sur les chantiers. La journée de 12 heures est la règle et les salaires peuvent descendre à 2 dollars par jour.

Bien que les chiffres officiels sont inconnus, les syndicats de la région estiment que des centaines de ces ouvriers meurent ou sont gravement blessés chaque année au travail au Bangladesh, au Pakistan et en Inde. Au Bangladesh, les chiffres réels pourraient être 20 fois plus élevés que ce qui n’est rapporté, selon les syndicats et les ONG.

Les navires du monde entier sont construits dans les chantiers navals du monde développé. En moyenne au bout de 25-30 ans, la maintenance devient chère et ils sont vendus comme ferraille. Ils le sont soit directement aux entreprises de recyclage des navires ou par un intermédiaire à Singapour ou Dubaï. Plus que 70% des navires effectuent leur dernier voyage vers des plages d’Inde, du Bangladesh ou du Pakistan.

Dans les cimetières marins de ces trois pays, les travailleurs commencent par délester les navires de toutes leurs pièces réutilisables, alimentant un secteur en aval qui revend dans la région des composants tels que moteurs, frigos, échelles ou bouteilles de gaz.

Ensuite le décorticage de ces géants des mers commence. Environ 80% des bénéfices de la démolition des navires est issue de la revente de l’acier, qui est découpé manuellement lors d’un processus de découpe à haute intensité de main d’œuvre.

Environ 1.000 navires d’une jauge brute de 100 tonneaux et plus sont démolis chaque année

Lieu où les navires ont

été démantelés/recyclés

en 2014 :

> Inde 29.8%

> Bangladesh 24.2%

> Chine 21.9%

> Pakistan 18%

Ce travail dangereux est exécuté par des travailleurs migrants, de jeunes hommes des zones rurales du Bangladesh, du Pakistan et d’Inde. La plupart de ceux qui travaillent sur les chantiers de démolition navale n’avaient jamais vu la mer avant et sont engagés par des recruteurs qui les acheminent de leurs villages vers les chantiers. Ils vivent dans des logements très rudimentaires à proximité des chantiers, en général sans eau potable et sans véritables sanitaires. Ces travailleurs, très souvent, ne se rendent jamais dans la ville voisine.

Le dirigeant du Syndicat bangladais des démolisseurs de navires

Nazim Uddin confie :

"Sans leur mot à dire au travail, les abus quotidiens se déroulent dans l’impunité. Les démolisseurs de navires ont des conditions de vie misérables. Ils sont payés à la journée : pas de travail, pas de paie. Ils ne reçoivent pas de congés payés, pas de primes, pas de gratifications ni aucune garantie d’embauche.

Huit travailleurs ont été tués ici au cours des deux derniers mois. Les employeurs ne versent aucune indemnité à la famille des travailleurs tués. La Haute Cour a fixé que chaque famille de travailleur tué devrait recevoir une indemnité de 500.000 Taka (US$ 6.400), mais les employeurs ne respectent pas cette disposition."

La syndicalisation est essentielle

Syndiquer dans ces conditions est compliqué, mais vital. Avec le soutien d’IndustriALL, l’affilié indien SMEFI a syndiqué le plus grand chantier de démolition navale du monde, Alang. Bien que des affiliés d’IndustriALL sont représentés sur des chantiers au Bangladesh et au Pakistan, la densité syndicale y est très faible.

V. V. Rane, Vice-Président de la section et leader du plus grand syndicat de la démolition navale à Bombay et Alang, en Inde, nous dit :

“Le chantier de démolition de Chittagong ressemblait à celui d’Alang avant que nous n’en syndiquions les travailleurs. Nous sommes aux côtés des démolisseurs de navires du Bangladesh.”

La tentative fructueuse de syndicalisation des démolisseurs de navires indiens a d’abord été rendue possible en 2003 lorsque le puissant syndicat des dockers de Bombay a ciblé le chantier de démolition de navires tout proche afin de le syndiquer. Avant de recruter des membres, le syndicat a fourni aux démolisseurs de navires l’eau potable qui ne l’était pas de la part des employeurs, en dépit de journées de travail de 12 heures.

Les démolisseurs de navires de Bombay indiquent maintenant que les plus importants changements apportés par le syndicat sont de leur avoir donné leur mot à dire au travail, la prise de conscience de la santé et sécurité, la sensibilisation aux législations du travail, la satisfaction des besoins essentiels et l’obtention d’équipements de protection de la part de l’employeur.

À partir de 2004, le syndicat a porté son attention sur Alang, avec le but de reproduire le succès de sa syndicalisation à Bombay sur ce site beaucoup plus grand, 680km plus au nord, en remontant la côte occidentale de l’Inde.

Le syndicat a passé un an à cartographier l’endroit et à rencontrer des besoins de base des travailleurs avant de commencer à recruter des membres. De l’eau potable, une ambulance, de la formation élémentaire en santé, sécurité et premiers soins ont été fournis et le syndicat a commencé à tenir des réunions régulières aux grilles des entreprises avec les ouvriers.

Les travailleurs ayant peur de perdre leur emploi, le syndicat a d’abord eu des difficultés à trouver des militants dévoués sur les chantiers de Alang. Maintenant que le syndicat est fort de 15.019 adhérents, il n’y a plus de crainte de licenciement.

Une importante disposition élémentaire du syndicat sur les chantiers est de mener des tests sanguins sur les nouveaux venus afin que leur carnet d’adhérent mentionne leur groupe sanguin. Les travailleurs savent que c’est souvent une information vitale en cas d’accident. Ce carnet syndical est généralement la seule pièce d’identité en possession des travailleurs.

Un autre élément important amené par le syndicat aussi bien à Bombay qu’à Alang est la formation élémentaire en santé et sécurité pour tout nouveau travailleur.

De nombreux employeurs de Bombay étaient également présents à Alang et dans les deux endroits, une majorité du terrain est la propriété des autorités et donné à bail aux opérateurs des chantiers de démolition, ce qui induit davantage de négligence du gouvernement. Au Bangladesh et au Pakistan les chantiers sont des propriétés privées.

Dégâts environnementaux

La démolition des navires en cale sèche permet de recueillir en toute sécurité tous les polluants du bateau pour pouvoir les éliminer. Cependant, construire des cales sèches requiert de lourds investissements. Des navires de plus petite taille sont démantelés dans ces conditions en Turquie.

À Alang, les bateaux sont démantelés à même la plage, après avoir été hissés sur le sable en profitant de la marée. C’est moins dommageable pour l’environnement que ce qui se fait à Chittagong, au Bangladesh, où les navires sont démantelés directement en mer, au large de la plage, de sorte que le pétrole et les produits chimiques toxiques sont emportés vers la Baie du Bengal.

Sous pression de la part des militants écologistes, le Ministère de la Marine indien est en train de songer à fermer ses chantiers de démolition navale de Bombay. Cependant, le puissant syndicat insiste pour qu’aucune fermeture n’ait lieu avant que les ouvriers des chantiers n’aient l’assurance d’un emploi ailleurs dans les mêmes conditions salariales.

À côté des syndicats, les militants écologistes aident à mettre la pression sur les gouvernements et les armateurs, les poussant à soutenir la Convention de Hong Kong. L’application de la convention va spectaculairement améliorer la santé et la sécurité des travailleurs du secteur ainsi que l’environnement.

Les chantiers dangereux du Pakistan

Le chantier de Gadani au Pakistan est le troisième plus grand au monde, employant une moyenne de 10-15.000 travailleurs. Ceux-ci travaillent normalement sept jours par semaine, souvent au moins 12 heures par jour, sans congés payés, sans autre indemnité et pour un salaire de PKR 12.000 (US$ 113) par mois, soit la moitié d’un salaire vital.

Pratiquement aucun équipement de sécurité n’est fourni à Gadani. Il n’y a pas de formation, pas d’eau potable et pas de premiers soins. Les travailleurs qui découpent au chalumeau sur les navires ne reçoivent aucun matériel d’escalade ou harnais de sécurité, ce qui provoque beaucoup d’accidents où les travailleurs tombent sur la plage depuis les ponts des navires. L’amiante et les produits toxiques sont présents partout et ne sont pas éliminés de manière sûre.

L’affilié d’IndustriALL, le NTUF rapporte qu’il y a jusqu’à 19 décès par an sur les chantiers de Gadani, mais on craint que le chiffre véritable ne soit plus élevé. Il n’y a pas d’hôpital en activité dans un rayon de 50km. Le syndicat rapporte que les travailleurs savent qu’ils seront renvoyés s’ils adhèrent au syndicat.

IndustriALL fait campagne pour que la Convention de Hong Kong devienne une réalité

La Convention internationale de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires a été adoptée par l’Organisation maritime internationale (OMI) de l’ONU en 2009. IndustriALL fait campagne pour la ratification de cette convention exhaustive, car sa mise en application rendra le métier dangereux de démolisseur de navire beaucoup plus sûr.

Les dispositions en matière de santé et sécurité de la convention comprennent un contrôle des matériaux dangereux sur les vaisseaux, le contrôle des risques sur les chantiers de démolition navale et l’assurance que soient dispensés aux travailleurs une formation à la sécurité et un équipement de protection.

Les conditions pour que la convention entre en vigueur est qu’au moins 15 pays la ratifient et que ceux qui le font représentent plus de 40% de la flotte marchande. Actuellement, seuls la Norvège, le Congo et la France l’ont ratifiée. Bien que ne l’ayant pas encore ratifiée, ces pays ont également signé la convention : Italie, Saint-Christophe-et-Niévès, Turquie et Pays-Bas.

La première condition est plus facile à atteindre que la seconde. Obtenir la ratification de la part de pays qui représentent 40% de la flotte mondiale en tonnage brut va requérir le soutien d’états importants du point de vue maritime et de la démolition des navires tels que le Japon, la Corée et la Chine, ainsi que le soutien d’au moins un des cinq plus grands pays à immatriculation libre ; Panama, Liberia, Îles Marshall, Singapour et les Bahamas. Les armateurs utilisent des pavillons de complaisance pour immatriculer leurs bâtiments dans l’un de ces cinq pays afin de contourner réglementations et taxes.

Deux des installations de recyclage de navires de Alang ont été déclarées en conformité avec la Convention de Hong Kong en septembre 2015 : Kalthia et Priya Blue.

Une fois que la convention sera en application, tous les pays qui sont membres de l’OMI devront faire recycler leurs navires dans des chantiers en conformité avec la convention.

Des syndicats forts du secteur de la démolition navale sont aux côtés des travailleurs concernés, par solidarité et parce qu’une démolition navale viable est nécessaire à une industrie durable de la construction navale.

Les affiliés d’IndustriALL sont au cœur des efforts de lobbying qui sont entrepris pour la ratification de la Convention de Hong Kong par les gouvernements du Japon, d’Australie, d’Allemagne, du Danemark, de Norvège et d’Inde.

Lors de la conférence mondiale d’IndustriALL sur la construction navale et la démolition des navires en novembre 2014, des syndicats du secteur issus de 19 pays ont adopté une résolution pour faire campagne en faveur de la Convention de Hong Kong.

Cet engagement a été pris à la lumière du fait que :

“Chaque année, des centaines de travailleurs perdent la vie au cours de graves accidents du travail dans les chantiers de démolition navale d’Asie du Sud. L’incidence des maladies professionnelles est largement méconnu mais on estime qu’elle est extrêmement élevée. Ce n’est qu’un rêve pour la plupart de ces ouvriers que de vivre ou survivre jusqu’à l’âge de 60 ans.”

Le lancement complet de cette campagne a eu lieu lors de la réunion du Comité exécutif d’IndustriALL en mai 2015. Et le Groupe d’Action d’IndustriALL sur la construction navale et la démolition des navires réuni à Chittagong en novembre 2015 a réaffirmé son engagement par rapport aux actions mondiales en soutien à la ratification de la Convention de Hong Kong.

Le Directeur d’IndustriALL pour le secteur de la construction navale et la démolition des navires, Kan Matsuzaki, coordonne la campagne en vue d’assainir le secteur :

"Ce secteur dans son ensemble a la responsabilité d’offrir aux travailleurs leur droit à des emplois sûrs, sains, propres et durables. Nous sommes déterminés à construire des syndicats forts au sein des chantiers et de combattre ces conditions de travail inacceptables.

IndustriALL Global Union exige que tous les états membres de l’Organisation maritime internationale (OMI) ratifient la Convention internationale de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires MAINTENANT !"

Satoshi Kudoh, Président de la Fédération japonaise des Syndicats de Travailleurs des Industries de Base, également coprésident de la section de la construction navale et la démolition des navires d’IndustriALL a pris la tête des actions de lobbying au Japon. En septembre 2015, le Camarade Kudoh a demandé directement à M. Akihiro Ohta, Ministre du Territoire, de l’Infrastructure, du Transport et du Tourisme d’accélérer la ratification de la Convention de Hong Kong de la part du gouvernement japonais. Positif, le ministre a répondu que le Japon ratifierait.

La Région côtière d’IG Metall a appelé en septembre 2015 le gouvernement allemand à agir. Le secrétaire régional du syndicat, Meinhard Geiken, accompagné de travailleurs des chantiers navals de Hambourg, a remis de façon spectaculaire reprises sur un grand panneau auprès du coordinateur maritime allemand leurs revendications. Le Secrétaire d’État parlementaire Uwe Beckmeyer s’est engagé par écrit à mener à bien la ratification rapide de la Convention de Hong Kong.

L’affilié australien AMWU a fait pression sur son gouvernement et a fait passer au sein du Parti travailliste australien une résolution qui soutient la Convention de Hong Kong.

Au Danemark, CO-Industri s’est joint à l’Association des Armateurs danois en septembre 2015 pour écrire au Ministre danois de l’Environnement et de l’Alimentation pour demander au gouvernement de ratifier dès que possible la Convention de Hong Kong. Le courrier presse également le gouvernement danois, ensemble avec les autres états membres de l’Union Européenne, de prendre l’initiative d’un dialogue avec les pays d’Asie du Sud sur la ratification de la Convention de Hong Kong.

Le Syndicat des démolisseurs de navires de Alang fait aussi pression sur le gouvernement indien pour qu’il ratifie. Cette problématique était une revendication centrale de la campagne publique menée par le syndicat le 7 octobre, Journée mondiale pour le travail décent.

Le gouvernement indien subit également la pression du gouvernement et des entreprises du Japon en vue de la ratification. Un financement japonais a été proposé pour améliorer les installations des chantiers de Alang, y compris des cales sèches avec des installations conformes d’élimination et de traitement des déchets. Une délégation de haut rang de responsables gouvernementaux, de syndicalistes, de représentants de l’industrie maritime et d’experts en provenance du Japon ayant visité Alang début 2015 a déclaré “Le Japon peut lui apporter son aide si l’Inde est disposée à ratifier la convention de Hong Kong”.

Une délégation d’IndustriALL a rencontré le Ministre bangladais de l’Industrie en novembre 2015 pour pousser à la ratification de la convention. V. V. Rane, vice-président de la section a remis les revendications de la campagne en expliquant : “la ratification du Bangladesh serait bénéfique à toutes les parties. Comme les entreprises maritimes sont de plus en plus sous pression pour recycler leurs vaisseaux de manière responsable, le respect de la Convention de Hong Kong apporterait des investissements, de la formation en santé et sécurité ainsi que des commandes aux chantiers navals bangladais.”

Le Secrétaire du Ministère a indiqué à la délégation qu’une Loi sur le Recyclage des Navires serait proposée au parlement fin 2015 pour mener à la ratification de la convention.

Un certain nombre d’autres gouvernements travaillent à la ratification de la convention. La pression mise à l’intérieur de l’UE devrait aboutir à la ratification de la part de la Belgique, suivie d’autres états européens. Les navires européens constituent près de 20% de la flotte mondiale et la plupart seraient démantelés au Bangladesh.

La Chine et la Turquie possèdent déjà des industries de recyclage des navires largement conformes aux dispositions de la convention. Ces deux pays se dirigent vers la ratification.

Le Secrétaire général d’IndustriALL, Jyrki Raina, met une priorité sur cette campagne :

"La construction navale, pour 130.000 travailleurs en Asie du Sud, se pratique principalement dans des conditions moyenâgeuses. Il est honteux, alors que cinq ans se sont écoulés depuis l’adoption de la Convention de Hong Kong, que seuls trois pays l’ont ratifiée. Les économies d’envergure dans le domaine de la construction et de la démolition navales doivent encore la ratifier et nous n’arrêterons pas notre campagne tant que ce ne sera pas chose faite. Bien entendu, notre campagne en vue d’assainir le métier le plus dangereux du monde va au-delà de cette convention et IndustriALL s’engage à renforcer les syndicats dans toute l’industrie, mais la Convention de Hong Kong va changer des vies."