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DOSSIER SPÉCIAL: Inditex et IndustriALL Global Union: recueillir les fruits d’un Accord- Cadre Mondial

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28 mai, 2014L’Accord-Cadre Mondial entre IndustriALL Global Union et le plus grand détaillant de mode du monde, Inditex, fait figure de modèle d’ACM fructueux pour le reste du secteur de l’habillement. Mis en place en 2007, il a permis de réintégrer des travailleurs chassés pour militantisme syndical, augmenter les salaires et promouvoir la liberté d’association dans des pays où la syndicalisation a traditionnellement été faible.

Dossier spécial

Text: Léonie Guguen

Un Accord-Cadre mondial (ACM) sert à protéger les intérêts des travailleurs dans l’ensemble des activités d’une entreprise multinationale, fixant les meilleures normes pour les pratiques en matière de droits syndicaux, de santé, de sécurité et d’environnement. Les ACM sont constamment revus et améliorés par IndustriALL.

L’Accord nous permet de faire notre travail avec les propriétaires d’usines 

confie Isidor Boix du syndicat espagnol Industria-CC.OO, qui officie en tant que coordinateur pour IndustriALL pour l’application de l’ACM avec Inditex.

Nous avons été en mesure de traduire les bonnes intentions décrites dans le texte en activités concrètes. 

Le groupe d’origine espagnole Inditex compte 6.340 boutiques dans 87 pays et emploie plus de 128.000 salariés dans le monde. Le personnel de vente et d’administration est couvert par l’ACM conclu avec UNI Global Union. Principalement axé sur la chaîne de boutiques Zara, Inditex compte également sept autres enseignes : Massimo Dutti, Bershka, Stradivarius, Oysho, Pull & Bear, Uterqüe et Zara Home.

Le succès de l’entreprise a principalement été obtenu en adoptant le dernier cri des défilés de mode et en le proposant dans ses boutiques quelques semaines plus tard. Pour arriver à un tel rendement depuis le studio de conception jusqu’à l’atelier de production, 50% environ de la production s’effectuent dans des pays proches de l’Espagne tels la Turquie, le Portugal et le Maroc. D’autres zones de production importantes sont le Brésil, l’Argentine, le Pakistan, la Chine, l’Inde, le Bangladesh et l’Asie du Sud-est. Il y a environ 6.000 fournisseurs distincts.

L’ACM entre IndustriALL et Inditex couvre plus d’un million de travailleurs de la confection qui s’attellent à la tâche pour le groupe.

En tant qu’organisation mondiale, IndustriALL a la capacité de toucher et défendre des travailleurs et travailleuses dans l’ensemble de l’énorme chaîne d’approvisionnement du groupe. L’ACM a réussi à intégrer les droits des travailleurs dans le comportement entrepreneurial du groupe et dans ses principes éthiques. En conséquence de ce partenariat positif, les propriétaires d’usines apprennent à considérer les syndicats comme la clé de la mise en place d’une main d’oeuvre durable

            - Jyrki Raina, Secrétaire général d’IndustriALL

L’ACM est pour nous comme une ligne directe pour communiquer entre travailleurs et entreprise 

            - Félix Poza 
              Directeur de la Responsabilité sociale de l’entreprise
              chez Inditex

C’est une manière d’entendre les problèmes et de s’impliquer dans les solutions. Nous avons pu ainsi résoudre des situations critiques dans certains pays.  

La relation a progressé bien au-delà de l’accord d’origine, Inditex et IndustriALL réalisant des initiatives commues de formation et des visites à l’étranger.

L’ACM est quelque chose que nous avons intégré dans nos activités normales

Toutefois, le succès n’est pas venu du jour au lendemain et il a fallu cinq années de tractations avec Inditex avant que l’ACM de 2007 soit signé avec l’organisation devancière d’IndustriALL, la Fédération internationale des travailleurs du textile, de l’habillement et du cuir (FITTHC).

C’est l’effondrement en 2005 de l’usine Spectrum au Bangladesh qui a poussé Inditex à accélérer le mouvement. Soixantequatre travailleurs et travailleuses sont décédés et quatre-vingts ont été blessés dans l’effondrement d’un bâtiment comptant un nombre d’étages illégal. La FITTHC s’est battue pour assurer des indemnisations aux victimes de la part des marques qui se fournissaient auprès de ces ateliers. Au bout du compte, seul Inditex, dont des fournisseurs avaient sous-traité auprès de cette usine, a accepté de verser des indemnités conformes aux normes internationales.

La coopération établie dans le cadre de la catastrophe de Spectrum a donné un coup de fouet aux relations entre la FITTHC et Inditex et a conduit à la signature de l’ACM en octobre 2007.

L’accord de collaboration a pour but d’assurer l’application effective des Normes internationales du Travail au travers de toute la chaîne d’approvisionnement d’Inditex, y compris sur les sites où les syndicats d’IndustriALL ne sont pas présents. Il signifie également qu’IndustriALL est reconnue par Inditex en tant que contre-partie représentant les travailleurs au plan mondial dans le cadre des engagements pris en matière de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE).

La Responsabilité Sociale des Entreprises peut représenter un souci pour les syndicats parce qu’elle est très unilatérale. Ce sont les entreprises qui prennent les décisions, effectuent les audits, etc... D’autres grandes marques, comme H&M et Gap, ont des déclarations de RSE mais n’ont pas défini clairement le rôle des syndicats. L’ACM procure un mécanisme bien nécessaire pour mettre en relation la déclaration de RSE d’Inditex et les syndicats locaux.

Le syndicat local peut dire à Inditex ’’je veux visiter telle usine pour voir ce qui s’y passe’’ et Inditex va passer un coup de téléphone sur place pour l’organiser. 

Au cours des douze derniers mois, IndustriALL a effectué de nombreuses visites d’usine dans sept pays différents. Depuis 2007, l’ACM a permis à IndustriALL de résoudre des problèmes de liberté syndicale, de contrôler les conditions de travail dans des usines de fournisseurs et se battre avec succès pour la réintégration de travailleurs mis à la porte pour avoir été syndicalistes, par exemple au Pérou, en Turquie et au Cambodge.

Nous avons la liberté de parler ouvertement aux travailleurs sans la présence d’Inditex ou des propriétaires des usines

L’ACM a également imposé le droit pour les travailleurs de se syndiquer dans le Code de Conduite pour les Fabricants et Fournisseurs Externes d’Inditex, qui compte parmi ses valeurs phares ’’le respect de la liberté d’association et de la négociation collective’’.

Ceci dit, en pratique, la syndicalisation n’est pas nécessairement une évidence.

C’est un mécanisme qui ne marche pas toujours bien. Dans des pays comme le Maroc, il est très difficile d’établir une présence syndicale, alors qu’au Brésil, par exemple, c’est beaucoup plus simple

            - Isidor Boix

C’est un défi pour tout le monde, y compris pour IndustriALL, qui doit oeuvrer dans de nombreux pays pour améliorer la capacité syndicale des organisations locales

confirme M. Poza.

De nombreuses usines ne comptent pas du tout de représentation syndicale, donc nous parlons aux salariés du rôle des syndicats, de la législation afférente et nous aidons à la mise en place de la syndicalisation dans les usines... Pour beaucoup de gens que nous rencontrons, c’est la première occasion qui leur est donnée de parler collectivement de leurs conditions de travail. 

            - Isidor Boix

Salaire vital

Conséquence directe de l’ACM, le concept de salaire vital a été introduit dans le Code de Conduite d’Inditex. « Les salaires doivent toujours être suffisants pour permettre de rencontrer les besoins élémentaires des travailleurs et de leurs familles ainsi que tout ce qui peut être reconnu en tant que besoin raisonnable. » dit le texte. Cette définition a été approuvée par le regretté dirigeant de la FITTHC, Neil Kearney, et introduite dans le Code en 2007.

C’est un point capital et un jalon pour nous. Introduire une définition du salaire acceptable était alors un concept radical 

précise Indalecio Pérez du département RSE d’Inditex.

Quel est l’impact des salaires sur le prix d’une pièce ? Dans bien des cas, c’est juste quelques centimes si vous comparez au prix des matières premières, du coût de la coupe, de la fabrication et du transport 

pondère M. Poza.

Nous avons appris à vivre avec des salaires à la hausse au cours des dernières années, et le business tourne toujours. 

Cependant, M. Pérez admet qu’il est souvent difficile d’avoir un impact en agissant isolément :

Nous sommes une entreprise isolée, même si notre taille est importante. Si vous comparez l’ensemble de notre production à la production mondiale, nous ne représentons qu’un faible pourcentage. Nous n’avons qu’un effet limité si nous agissons seuls. Nous (les marques) devons nous attaquer au problème ensemble et traiter avec des organisations locales ainsi que des institutions et gouvernements crédibles. Nous ne pouvons pas nous substituer au rôle des gouvernements. 

Le Protocole de 2012

A mesure qu’Inditex s’est mué en géant de la mode, l’ACM s’est lui aussi renforcé. Le Protocole de 2012 a fait progresser l’accord en spécifiant le rôle des syndicats dans la mise en oeuvre de l’ACM au sein de la chaîne d’approvisionnement d’Inditex.

Le Protocole de 2012 a développé l’aspect pratique de l’accord... L’évolution d’Inditex a été de pair avec l’évolution de notre relation avec le groupe.

            - Isidor Boix 

Le Protocole entérine le rôle important que les syndicats locaux jouent dans la mise en oeuvre de l’ACM en raison de leur proximité avec les usines. Là où les syndicats locaux identifient des manquements à l’ACM, ils informent Inditex et IndustriALL, qui mettront en oeuvre un Plan d’Action Corrective si le manquement est confirmé.

Point essentiel du Protocole, IndustriALL et Inditex ont mis en place des programmes de formation destinés à donner une meilleure compréhension de l’ACM. Ceux-ci impliquent la participation de cadres, de responsables, de travailleurs et de contre-maîtres des fournisseurs, ainsi que des représentants des syndicats locaux de chacun des pays concernés.

Ajout à l’ACM d’origine, le Protocole impose à Inditex de donner la liste complète de ses 6.000 fournisseurs et sous-traitants avec le volume de leur production pour Inditex, permettant à IndustriALL et à ses syndicats affiliés d’établir un meilleur contact avec les salariés.

Le Protocole marque également un changement d’attitude d’Inditex par rapport aux travailleurs et aux syndicats.

En 2012, nous avons spectaculairement changé notre relation avec IndustriALL de manière positive parce que nous l’avons envisagée d’un point de vue préventif... Nous nous somme rendus compte que demander un salaire vital, la liberté d’association et promouvoir la négociation collective sont une manière préventive et proactive de garantir une chaîne d’approvisionnement durable. 

            - Indalecio Pérez

Formation

En application du Protocole de 2012, des projets de formation conjoints entre IndustriALL et Inditex ont eu lieu entre autres en Turquie, au Maroc, au Brésil, au Portugal, en Argentine et en Chine.

La formation a été positive et a donné l’occasion de s’adresser aux travailleurs et aux syndicats d’une manière différente... Nous avons l’opportunité d’entendre s’exprimer les gens sur leurs besoins et sur ce qui peut être amélioré.  Finalement, nous parlons de la durabilité de l’usine et, au-delà, c’est de la durabilité de l’ensemble du modèle d’entreprise qu’il est question.

            - Félix Poza 

Les réunions ont donné à IndustriALL et aux syndicats locaux l’occasion d’un dialogue ouvert avec les hautes directions des usines, ce qui était sans précédent dans de nombreux pays.

Les projets de formation, qui impliquent toujours des représentants d’IndustriALL, ont débuté dans pratiquement tous les pays fournisseurs, donnant également une nouvelle opportunité de bâtir des relations entre les équipes de RSE et les syndicats sur place.

Quand nous avons commencé, nous n’avions aucun contact avec les syndicats locaux et maintenant, en très peu de temps, nous avons créé des canaux de communication dans chacun des pays

Coordinateurs d’ACM

Dans une étape ultérieure significative, Inditex s’est engagé à financer un réseau de coordinateurs dont le rôle est d’aider à l’application de l’Accord. Des experts syndicaux seront désignés dans les pays qui ont un niveau de production significatif pour Inditex et ils seront en mesure de collaborer avec les chargés de RSE de l’entreprise sur place. Les premiers Coordinateurs d’ACM seront désignés pour le Bangladesh, le Cambodge, la Turquie, l’Inde, la Chine et l’Amérique latine.

Une structure de Coordinateurs d’ACM permettra à Inditex et IndustriALL d’avoir un dialogue permanent avec les affiliés locaux, comme c’est déjà en grande partie le cas pour la Turquie, le Portugal, le Brésil et le Bangladesh.

Commission santé et sécurité du Bangladesh

Alarmé par le nombre élevé de décès consécutifs à des incendies dans les usines de confection bangladaises, Inditex a lancé un projet conjoint avec IndustriALL en janvier 2013 pour effectuer des inspections incendie et mettre sur pied des commissions santé et sécurité dans 200 usines du pays.

Ce projet va aider les usines à être mieux organisées et à améliorer les procédures d’évacuation en cas d’urgence. Un Comité de Santé et Sécurité, composé de syndicalistes, sera mis sur pied dans chacune des usines et élu par les salariés.

Après l’effondrement de l’usine Rana Plaza en avril 2013, qui a coûté la vie à 1.138 travailleurs et travailleuses, les inspecteurs d’Inditex ont entrepris d’évaluer leurs fournisseurs bangladais également en fonction des risques structurels.

Inditex est signataire de l’Accord sur les mesures de sécurité ayant trait aux incendies et aux bâtiments au Bangladesh, l’accord innovant initié par IndustriALL et UNI après la catastrophe de Rana Plaza et au travers duquel les enseignes s’engagent à améliorer les conditions de sécurité dans les usines de confection du pays.

Inditex a transmis les rapports de ses propres inspections en matière d’incendie et de structures des bâtiments au secrétariat de l’Accord.

Alors que l’ACM continue à grandir et se développer, M. Poza le salue comme gage de relations sociales mûres au sein de l’entreprise.

Les résultats de notre collaboration ont toujours été très positifs et l’Accord nous a donné la capacité de résoudre des problèmes. Il a parfois servi également à fournir des solutions pour d’autres firmes. 

Monika Kemperle, Secrétaire général adjointe d'IndustriALL, indique: 

Avec Inditex, il existe une volonté de collaborer même si nous ne sommes pas toujours physiquement en contact... L’Accord-Cadre Mondial constitue un lien inestimable et la reconnaissance d’un engagement à long terme de la part des deux parties à améliorer les choses pour les travailleurs et travailleuses à tous les niveaux de la vaste chaîne d’approvisionnement d’Inditex.