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INTERVIEW: Hashmeya Alsaadawe

7 décembre, 2015Hashmeya Alsaadawe est Présidente de l’affilié d’IndustriALL, le Syndicat général des Ouvriers et Techniciens de l’Électricité de Bassora (SGOTE) et membre du Comité exécutif d’IndustriALL où elle représente les travailleurs et travailleuses du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.

En 2003, elle est devenue la première femme d’Irak à être élue à la tête d’un syndicat national et on estime qu’elle est ainsi la première femme à diriger un syndicat au sein du monde arabophone.

Comment était-ce de pouvoir rejoindre un syndicat à la fin de l’époque de Saddam Hussein ?

Au début de son régime en 1987, Saddam Hussein a fait adopter la Résolution 150 qui empêchait le travail syndical dans le secteur public et concernait tous les salariés de la distribution d’électricité relevant de l’État. Tout de suite après la chute du régime en 2003, j’ai entrevu l’espoir de défendre les droits des travailleurs. Je me suis donc dépêchée de former un syndicat pour les travailleurs de l’électricité à Bassora, avec l’aide d’un certain nombre de jeunes.

À quels défis avez-vous été confrontée pour être élue à la présidence en tant que femme ?

Au début, je n’ai pas rencontré de difficultés, sauf de la part d’un petit nombre de syndicalistes qui n’étaient pas faits à l’idée qu’une femme dirige un syndicat. Trois personnes se présentaient à la présidence : deux hommes et moi-même. Après ma victoire, les autres candidats ont commencé à me créer des difficultés pendant mon mandat. Le syndicat a accompli de grands progrès pour les travailleurs et les adhérents et donc, j’ai remporté à nouveau les élections pour un second mandat et gardé mon poste de présidente.

Comment votre syndicat a-t-il recruté et défendu les travailleurs et travailleuses depuis votre élection ?

Après nous être organisés, nous avons formé des comités syndicaux dans toutes les centrales (pour la production, le transport et la distribution d’énergie). Nous nous sommes attelés à rencontrer les revendications des travailleurs et à aboutir à une production d’énergie durable. Notre approche se fait principalement par le biais de la négociation, mais en cas de problème, nous avons organisé des sit-ins sur les lieux de travail et manifesté devant les bâtiments du gouvernement local les jours fériés. Nous avons également recouru aux médias pour exprimer les revendications des travailleurs et de nos affiliés. Nous avons obtenu pas mal de succès grâce à tous ces mécanismes et notamment environ 2.500 postes permanents pour des sous-traitants ou des temporaires du secteur de l’électricité.

Qu’avez-vous rencontré comme défis en tant que leader syndicale en Irak ?

Les vraies difficultés que j’ai rencontrées sont venues de mon engagement à combattre la corruption au sein des centrales. J’ai été menacée par des milices qui avaient le soutien de responsables corrompus du secteur.

Cependant, je n’étais pas la seule à recevoir des menaces de mort. De nombreux patriotes, hommes et femmes, ont payé de leur vie le fait de faire leur travail. Après avoir été retenue comme candidate au Conseil des Représentants (parlement), j’ai reçu de nouvelles menaces de mort de la part de milices proches de partis religieux d’Irak.

Comment ces menaces de mort vous ont-elles affectés vous et votre famille ?

Ces menaces ont certainement pesé lourdement sur ma famille et en particulier sur mon fils. Nous avons été obligés de le retirer de l’école et de lui faire arrêter ces études pendant deux mois après que sa vie a été menacée.

De quelle manière la violence en Irak affecte-t-elle votre secteur, votre syndicat et les travailleurs ?

Les terroristes ont visé de nombreuses centrales et lignes électriques aériennes. Des attaques à la bombe ont conduit à la mort de travailleurs. Il nous a été également signalé des travailleurs occupés sur les lignes de transmission ayant été tués ou kidnappés.

Vous êtes arrivés à vos fins au bout d’une campagne de dix ans pour obtenir une nouvelle législation du travail, qu’est ce que ça va changer pour les travailleurs en Irak ?

En août 2015, le parlement irakien a adopté une nouvelle loi qui concerne les travailleurs des secteurs privés, mixtes et coopératifs, mais exclut ceux qui relèvent de la loi sur les services civiques. En plus d’interdire le travail des enfants, la discrimination et le harcèlement sexuel, la nouvelle législation comprend des améliorations en termes de santé et sécurité ainsi que de congés payés. Les femmes travailleuses bénéficieront également d’avancées en matière de maternité et de congés maternité.

La solidarité d’IndustriALL et des fédérations syndicales internationales a été cruciale pour l’adoption d’une législation du travail moderne conforme aux conventions de l’OIT.

Cependant, l’interdiction des syndicats dans le secteur public va rester en vigueur jusqu’à ce que la nouvelle loi sur les syndicats soit promulguée. Nous appelons instamment le gouvernement irakien à ratifier la Convention 87 de l’OIT, qui est actuellement soumise à l’approbation du parlement. Ceci permettrait à son tour d’ouvrir la voie pour l’adoption de la législation syndicale.

Quelles difficultés les syndicats ont-ils rencontrées en Irak ?

Pour tenter de se libérer de la pression des syndicats, des responsables gouvernementaux ont commencé en 2009 à appliquer la Résolution 150 de Saddam Hussein en disant que les travailleurs du secteur public n’avait pas le droit de se syndiquer.

Le gouvernement a même édicté des instructions écrites officielles pour la police et les forces de sécurité indiquant que toute action syndicale dans le secteur public était punissable en vertu de l’Article 4 de la loi sur le terrorisme.

On a commencé à attaquer les syndicats en fermant des bureaux syndicaux dans les industries du pétrole et de l’électricité, dans des secteurs comme les ports, les chemins de fer, les municipalités, etc.

Il nous faut donc d’urgence une législation qui reprenne les droits et libertés syndicales du secteur public. Une fois que ce sera fait, nous serons libres de former des syndicats démocratiques pour la défense des droits des travailleurs.

Cela fait longtemps que vous faites campagne en faveur de l’électricité pour tous, où en est-on ?

Notre syndicat a travaillé dur en faveur de la sécurité d’approvisionnement du grand public et a coopéré à cet égard avec les responsables nationaux du secteur. Nous avons tenu un certain nombre de réunions avec des responsables du Ministère de l’Électricité pour tenter de garantir une fourniture constante d’électricité de la part des multinationales qui font tourner les centrales en Irak. Malheureusement c’est la corruption généralisée qui a prévalu. Des statistiques indiquent que les quarante ou quelques milliards de dollars prévus pour le développement de l’électricité en Irak dépensés depuis 2003 l’ont été en vain !

Quels sont vos espoirs pour l’avenir ?

J’espère qu’une loi sur les droits et libertés des syndicats sera adoptée. J’espère aussi continuer à bâtir et renforcer le SGOTE avant mon départ. J’espère que la sécurité reviendra en Irak et que le cauchemar du terrorisme et de l’EIIL se terminera, car c’est source de craintes réelles pour moi et les miens.

Comment les autres syndicats peuvent-ils montrer leur soutien et solidarité aux travailleurs d’Irak ?

Toutes ces années, nous avons eu le soutien et la solidarité de syndicats et d’organisations internationales, qui ont adressé des messages aux responsables irakiens en se rendant dans les ambassades irakiennes de nombreux pays et en organisant des sit-ins. Ils ont soutenu les syndicalistes qui avaient été transférés sur des lieux de travail éloignés et ont été solidaires de ceux qui ont été attaqués en justice. Je dois ici souligner le rôle crucial de la délégation d’IndustriALL qui s’est rendue en Irak en 2013, dans des circonstances difficiles, pour rencontrer le Ministre du Travail, le Président de l’Assemblée et des parlementaires. Nous espérons que ce soutien va se poursuivre afin de pouvoir préparer le terrain à une législation qui entérine les droits et libertés des syndicats ainsi qu’une loi sur la sécurité sociale pour les travailleurs.