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INTERVIEW: Luisa María Alcalde

3 janvier, 2019“L’enthousiasme des gens est en effervescence, c’est palpable,” confie avec bonne humeur Luisa María Alcalde. C’est réellement une nouvelle ère qui s’ouvre pour le peuple mexicain : Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a récemment été élu Président, ce qui offre l’espoir de la démocratie, de l’égalité des genres, de l’intégration de la jeunesse et de la fin de la pauvreté et de la corruption.C’est aussi la première fois qu’un gouvernement mexicain est arrivé à la parité, avec huit hommes et huit femmes d’âges divers constituant le cabinet. Luisa María Alcalde est le parfait exemple de cette nouvelle ère. Cette jeune femme de 31 ans s’apprête à diriger l’un des ministères clés dans le combat pour protéger les droits des travailleurs : le Ministère du Travail et de la Sécurité sociale.

Ministre du travail et de la sécurité sociale

Pays: Mexique

Texte: Kimber Meyer

Comment êtes-vous arrivée en politique ?

J’ai commencé à davantage m’impliquer en politique en 2006. Les élections cette année-là ont été plutôt controversées et j’ai pris progressivement davantage d’intérêt pour ce qui se passait dans la vie publique.

Quand j’ai quitté la faculté de droit à l’âge de 23 ans, le parti du Mouvement de Régénération nationale (Morena) débutait en tant qu’association de terrain et j’ai été désignée comme coordinatrice nationale pour les étudiants et la jeunesse. Nous avons commencé à travailler avec les cercles de jeunesse, à amener les jeunes à participer au mouvement, qui existait déjà depuis quelques années mais se muait alors en une organisation plus officielle.

Ensuite, en 2012, j’ai été élue lors de la 62e Législature du Congrès du Mexique en tant que députée du parti du Mouvement des Citoyens, prestant un mandat de députée fédérale jusqu’en 2015.

Pensez-vous qu’il est important d’avoir une parité des genres au sein du nouveau cabinet et du Parlement ?

Je pense que c’est vraiment important. Le fait que le cabinet soit constitué d’un nombre égal d’hommes et de femmes envoie un message fort qui devrait encourager davantage de femmes à s’investir dans la vie politique et dans la vie publique au sens large. Je pense que c’est une bonne chose que les membres féminines du gouvernement aient reçu un vaste éventail de responsabilités. Non seulement il y aura des femmes au sein de différents ministères, mais elles recevront également des postes importants, de haut rang.

Notre équipe présente une diversité des genres et comprend également des personnes de tous âges, nous représentons ainsi réellement la diversité des points de vue de notre société.

Par le passé, vous avez souvent dit combien il était important d’éradiquer la discrimination et le harcèlement que connaissent les femmes sur le lieu de travail. Comment allez-vous vous y prendre ?

Nous voulons travailler sur différents fronts, par le biais des procureurs généraux, des procureurs de la République ainsi que du ministère de la sécurité sociale. Nous allons chercher à intégrer les femmes dans la population active et mettre sur pied des crèches sur les lieux de travail. Nous allons également nous associer avec l’ombudsman du travail pour aborder la discrimination et le harcèlement auxquels sont confrontées les femmes sur leur lieu de travail. Le problème est que ces incidents sont souvent passés sous silence. Nous voulons nous assurer que les femmes sentent qu’elles peuvent se diriger vers les autorités et faire état de la violence à laquelle elles sont confrontées.

L’initiative “les jeunes construisent leur avenir” est considérée comme l’un des programmes clés du gouvernement pour améliorer les compétences des jeunes.

Pensez-vous que le gouvernement va pouvoir solutionner la question du chômage des jeunes au Mexique ?

Le programme vise à aider les jeunes qui souhaitent travailler mais manquent d’opportunités pour le faire. Ils recevront formation et soutien pour accéder à l’emploi et cela nous aidera à soulager les tensions qui traversent le pays. Le but est de s’assurer que les jeunes aient les outils et l’expérience dont ils ont besoin pour augmenter leur employabilité et le programme prévoit une année de formation continue. Parmi les entités impliquées dans le programme, 70% sont issues du privé, 20% sont gérées par l’État et 10% concernent des actions de proximité.

Nous mettons sur pied un réseau de mentors et jusqu’ici le retour est bon. Chacun d’entre eux a une brique à apporter à l’édifice.

Souvent, vous avez dit qu’une de vos priorités était de promouvoir des emplois équitables et de haute qualité. Comment prévoyez-vous d’y parvenir ?

Nous allons faire cela de diverses manières. D’abord, nous voulons favoriser un dialogue social. Nous voulons ramener une véritable négociation collective pour ouvrir la voie à la démocratie et la transparence. Cela nous permettra de créer un système plus équilibré et d’améliorer les salaires.

Dans le même temps, nous allons changer la façon de procéder pour assurer que les droits des salariés soient respectés. Nous allons travailler avec les ministères de l’emploi de différents états de la fédération pour mener des campagnes avec des objectifs clairs de sorte à augmenter la conscientisation des travailleurs et travailleuses à leurs droits.

Nous allons par exemple faire campagne contre les pratiques abusives en matière de sous-traitance et inciter à davantage de contrats de travail en bonne et due forme. Beaucoup de gens ne sont pas inscrits à la sécurité sociale, ce qui peut les désavantager lorsqu’ils veulent prendre leur retraite ou trouver un logement, nous allons donc nous occuper de cela également. Nous allons appeler les organisations de la société civile à promouvoir le respect de la loi. Au lieu d’avoir de l’inspection, nous allons fixer des priorités claires avec des campagnes qui impliquent toujours les diverses parties.

Au bout du compte, c’est le plan national de politique sociale qui occupe une place centrale, reposant sur le principe que de meilleurs salaires apporterons la stabilité. Si nous arrivons à limiter les coûts inutiles, comme certains salaires excessivement élevés, des formules de déplacement professionnels onéreuses et autres dépenses évitables, et que nous éradiquons la corruption, nous serons en mesure de donner un coup de fouet au développement et améliorer l’éducation et les soins de santé.

L’une de vos propositions est d’en finir avec un salaire minimum dans le pays qui, à 88 pesos (4,6 dollars) par jour, est tellement bas qu’il rime avec précarité. Comment, en fait, prévoyez-vous d’augmenter ce salaire minimum ?

La politique était de maintenir les salaires bas pour générer des investissements. Ce modèle encourageant le travail précaire a échoué. Nous voulons que les travailleurs et travailleuses retrouvent le sens de leur propre valeur, afin qu’ils puissent vivre bien et avec dignité. Nous en sommes encore pour l’instant fort éloignés.

Nous avons collaboré de près avec des experts analystes qui ont recours à des informations objectives. Nous avons parlé avec le nouveau Ministre des Finances et la Banque du Mexique pour trouver les moyens d’augmenter graduellement le salaire minimum. On nous dit qu’il est possible d’augmenter les salaires sans déclencher une hausse de l’inflation, c’est donc une option à notre portée.

Pensez-vous qu’une réforme constitutionnelle majeure en matière de droit du travail sera nécessaire pour empêcher les violations des droits des travailleurs et travailleuses ?

Oui, c’est fondamental. La Constitution permet de changer de paradigme. Nous avons l’intention de nous servir de la législation secondaire pour nous assurer que la justice soit présente sur le lieu de travail, sachant que ce seront dorénavant des juges impartiaux qui vont résoudre les conflits du travail. Il y aura également un nouvel institut indépendant pour l’enregistrement des syndicats et des conventions collectives. Et, pour mettre un terme aux contrats de protection des employeurs, des scrutins libres et secrets seront nécessaires pour élire les dirigeant syndicaux chargés de signer les conventions collectives. Nous allons aussi nous assurer qu’il y ait une représentation et un dialogue authentiques.

Pensez-vous que les dispositions en matière d’emploi du nouvel accord commercial conclu entre les gouvernements du Mexique, du Canada et des États-Unis sont compatibles avec la Constitution du Mexique ?

Les dispositions en matière de travail du nouvel AEUMC, la ratification de la Convention n° 98 de l’OIT, la réforme constitutionnelle de la législation du travail, la loi sur la transparence et la législation secondaire qui en découle sont les pièces d’un même puzzle. Elles ont toutes le même objectif et sont compatibles avec la politique mise en avant par le nouveau gouvernement d’AMLO, qui est de promouvoir la démocratie, la liberté et la transparence au Mexique.