Jump to main content
IndustriALL logotype

RENCONTRE: Marcio Pochmann

Read this article in:

5 décembre, 2013Dans un monde où le travail est précarisé et de plus en plus externalisé, les politiques industrielles sont une manière de protéger les travailleurs et leurs droits. Selon Marcio Pochmann, économiste, chercheur et professeur à l’UNICAMP (Université de Campinas) et président de l’Instituto de Pesquisa Econômica Aplicada

RENCONTRE

TextE: Valeska Solis
Photo principal: IndustriALL
 

Des politiques industrielles coordonnées sont essentielles pour l’Amérique latine et les Caraïbes 

Dans un monde où le travail est précarisé et de plus en plus externalisé, les politiques industrielles sont une manière de protéger les travailleurs et leurs droits. Selon Marcio Pochmann, économiste, chercheur et professeur à l’UNICAMP (Université de Campinas) et président de l’Instituto de Pesquisa Econômica Aplicada de 2007 à 2012, les pays sud-américains ont besoin d’une stratégie commune pour faire face à la concurrence internationale croissante.

Selon le FMI (Fond Monétaire International), le Brésil est la première économie d’Amérique latine et la septième plus grande du monde. Marcio Pochmann voit différentes raisons pour lesquelles le Brésil occupe cette place. L’une est la démocratisation, le pays comptant 30 années de gouvernements légitimes, une autre est la croissance économique.

La redistribution des revenus et la croissance de l’emploi entre 2004 et 2005 a encouragé une expansion économique et a fait avancer l’économie,

dit Marcio Pochmann.

Après la crise de 2008, la reprise économique a débuté dans des pays en croissance comme la Chine, l’Inde et le Brésil. Selon Pochmann, le Brésil est le moteur de l’économie latino-américaine et a le potentiel pour compter parmi les cinq plus grandes économies du monde. Au cours des dernières années, le Brésil a été un des principaux bénéficiaires de la croissance économique mondiale. La nation a accumulé de la richesse en exportant des minéraux, du pétrole, du charbon, du bœuf et du soja en Europe et en Asie.

Quelle est la situation actuelle au Brésil et en Amérique latine ?

L’Amérique latine a traversé une longue période de politiques néo-libérales qui ont été appliquées de différentes manières. Cela s’est fait au détriment de la société et de l’économie et a sérieusement limité les perspectives de développement. Cependant, des alternatives post-néolibérales, appliquant des modèles différents, sont apparues au 21e siècle. Les tendances bolivariennes dans des pays tels que le Venezuela, la Bolivie et l’Equateur ont donné à des pays comptant un grand secteur agricole des options intéressantes et qui tombaient à point. La situation est différente en Uruguay et en Argentine parce que ces pays ont des sociétés bien plus complexes qui offrent du champ pour la construction d’alternatives post-néolibérales. C’est différent, par exemple, du Venezuela qui a une grande capacité de production et d’exportation de pétrole. Il y a aussi le modèle brésilien, qui est différent de celui du Venezuela ou de l'Argentine. C’est dû au fait que le Brésil compte un vaste secteur industriel et que ses récents investissements dans l’industrie pétrolière ont placé le pays dans une excellente position. 

Le nouveau fond créé par le gouvernement va permettre davantage d’investissements dans la santé et l’éducation. C’est un important résultat de la vague de protestations sociales en juin de cette année où on a vu déferler de grandes manifestations à travers tout le pays. Ces modèles post-néolibéraux sont anti-néolibéraux mais il y a aussi de grandes différences entre eux.

Quelle a été l’importance de ces manifestations pour le développement au Brésil ?

Les manifestations ont été très importantes en ce qu’elles ont donné un nouveau souffle à la démocratie au Brésil. Il a été bon pour le pays que le peuple descende dans la rue pour réclamer du changement. Il a réclamé des améliorations pour les services publics, la qualité de l’enseignement et de la santé, toutes choses que les marchés ne peuvent offrir. Ces protestations venues de la rue ont donc été essentielles pour le développement du Brésil. 

S’agissant des manifestations, quel est votre avis sur le projet de Loi 4330 ?

L’externalisation est un fait, pas seulement au Brésil. Ce phénomène est lié au travail précaire et j’estime qu’il est essentiel de légiférer ou de réglementer dans ce domaine. Cependant la proposition de la majorité ne prend pas en compte le problème central de l’externalisation. Le risque est donc sérieux que cette proposition ne fasse rien pour améliorer la qualité de l’emploi et pourrait entraîner davantage de travail précaire, y compris dans des secteurs où il n’est pas encore répandu. 

Quelle est votre opinion sur le secteur industriel en Amérique latine ?

La production industrielle est très importante et je pense que les pays sud-américains doivent coordonner leurs politiques industrielles. Il y a énormément de concurrence, avec l’augmentation du secteur manufacturier en Asie, en particulier en Chine. Dans le même temps, la nouvelle donne en matière d’énergie pourrait aider à la reprise aux Etats-Unis, ce qui pourrait rendre plus difficile le développement de l’industrie en Amérique latine. Cela pourrait même y mener à un déclin industriel. Il est donc essentiel pour notre continent de développer une politique industrielle coordonnée.

Le développement industriel est tributaire d’une stratégie mondiale, donc les politiques doivent avoir une perspective coordonnée internationale et pas seulement nationale. Par exemple le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay devraient coordonner leurs secteurs du pétrole et de la construction navale, entre autres. Ils pourraient coordonner l’ensemble de leurs systèmes de production.

Une telle coordination pourrait-elle aider à combattre l’emploi précaire ?

Oui. Un exemple en est le Mercosur, au sein duquel il y a toujours de la concurrence mais qui est aussi devenu un forum de coopération. La concurrence mène souvent à la disparition de secteurs de production dans certains pays. La Chine a réussi à organiser un système de production qui bénéficie à sa population et qui a des liens forts avec ses pays voisins. Elle importe et exporte beaucoup. Je ne pense pas qu’il serait judicieux pour le Brésil, par exemple, d’avoir un excédent commercial avec ses voisins. Il devrait développer et diversifier ses relations avec eux. Le travail précaire et informel serait moins répandu si on se préoccupait moins de concurrence. La concurrence peut être néfaste, car elle maintient des bas salaires. Cependant, l’emploi précaire continue à être une manière de se faire concurrence et c’est une pratique également répandue dans les pays latino-américains. 

Quel rôle les syndicats peuvent-ils jouer pour coordonner la politique industrielle ?

Les syndicats sont très importants, non seulement pour la consolidation de la démocratie mais aussi comme porte-drapeaux pour l’avenir. Les syndicats ne peuvent pas se contenter de regarder dans le rétroviseur parce que ça signifie avoir une vision passéiste. Les syndicats doivent regarder devant eux. D’une part, il y a une évolution au sein de la classe ouvrière, l’importance des nouvelles technologies de l’information et de la communication augmente et cela signifie de nouveaux travailleurs. Un autre problème est que les travailleurs ne se syndiquent pas, ils n’ont aucun contact avec les syndicats. Ceux-ci doivent donc attirer de nouveaux adhérents pour renforcer leur position, leur programme de réforme et leurs revendications de sorte à promouvoir le progrès économique et social dans leurs pays.

Pensez-vous que le Brésil consolide sa position ? Est-il comparable à l’Argentine ?

Le Brésil est un peu différent de l’Argentine. Si l’Argentine était un animal, il serait souple, pour bâtir des majorités politiques et changer de direction plus rapidement. Le Brésil est plus comme un éléphant, qui se déplace lentement et prend plus de temps à se construire des majorités politiques, mais qui peut atteindre des résultats plus stables. En dépit de toutes les difficultés, le Brésil évolue maintenant dans la bonne direction et ne devrait pas revenir à ses politiques antérieures. Il existe un sentiment que le changement et le combat contre les inégalités et le travail précaire sont des éléments essentiels pour la consolidation de la démocratie.